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Tout comprendre du premier procès de Depardieu pour agressions sexuelles
#Depardieu #femmes #agressionssexuelles #viols #cinema
Article mis en ligne le 24 mars 2025
dernière modification le 23 mars 2025

Poursuivi pour des agressions et violences sexuelles sur deux femmes, Gérard Depardieu doit comparaître lundi 24 et mardi 25 mars devant le tribunal correctionnel de Paris. Retour sur les affaires Depardieu.

Lundi 28 octobre 2024, c’est dans son propre rôle, celui d’un monstre sacré vieillissant et plombé par les affaires, que l’acteur de 75 ans devait comparaître devant la 10e chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris. Mais le procès a été renvoyé aux 24 et 25 mars 2025 en raison de « l’état de santé » de l’accusé. (...)

Depuis six ans, une vingtaine de femmes ont témoigné d’agissements similaires et d’autres plaintes, dont une pour viols, sont en cours d’instruction. Présumé innocent, Gérard Depardieu, dont la longue carrière marque une pause forcée, nie les faits qui lui sont reprochés. Dans une lettre ouverte au Figaro, en octobre 2023, il avait certes admis avoir été toute sa vie « provocant, débordant, parfois grossier », mais jamais « un violeur ni un prédateur ». Après que le monde du cinéma s’est déchiré à son sujet, par tribunes interposées, un collectif de cent cinquante personnalités a pris la plume en janvier 2024, dans Libération, pour rappeler que « Les monstres sacrés n’existent pas. Il n’y a que des hommes ordinaires auxquels on a donné tous les droits ». (...)

Que jugera le tribunal judiciaire de Paris ?

L’audience portera sur les accusations d’agressions sexuelles portées par deux femmes après le tournage du film Les Volets verts, de Jean Becker, en 2021. L’une des deux victimes présumées, décoratrice de cinéma, a porté plainte en février 2024 pour agression sexuelle, harcèlement sexuel et outrages sexistes survenus pendant les prises de vues. (...)

L’acteur sera aussi jugé pour des violences sexuelles qu’avait dénoncées dans une plainte une autre femme, assistante réalisatrice sur le même long métrage. Il risque jusqu’à cinq ans de prison. (...)

Quels sont les autres témoignages ?

Le 11 avril 2023, Mediapart, dans une longue enquête, publie les témoignages de treize femmes qui accusent Depardieu de violences sexuelles. En juillet 2023, France Inter diffuse deux autres témoignages d’agression sexuelle, ceux d’une assistante mise en scène et d’une technicienne. La comédienne Hélène Darras porte à son tour plainte, le 10 septembre 2023, pour agression sexuelle sur le tournage de Disco en 2007. La plainte sera classée pour prescription. Mi-décembre de la même année, la journaliste et écrivaine espagnole Ruth Baza dépose plainte en Espagne : elle accuse Gérard Depardieu de l’avoir violée en 1995. Une autre enquête est également en cours, à Paris, après la plainte d’une ancienne assistante de tournage accusant Gérard Depardieu d’agression sexuelle en 2014.

Où en est l’affaire Complément d’enquête ?

Le 7 décembre 2023, Complément d’enquête, le magazine d’investigation de France 2, diffusait des images ahurissantes, tournées cinq ans plus tôt, en Corée du Nord. On y voit l’acteur, en compagnie de l’écrivain et réalisateur Yann Moix, multiplier les saillies à caractère sexuel et misogyne, notamment envers une fillette à cheval.
La ministre de la Culture de l’époque, Rima Abdul-Malak, dénonce alors des propos qui font « honte à la France », avant d’être désavouée par le président de la République. Emmanuel Macron salue en effet un « immense acteur » qui « rend fière la France » et évoque « une chasse à l’homme ». La famille de Gérard Depardieu dénonce elle aussi « une cabale » et Yann Moix, un remontage « frauduleux » de ses images. (...)

Pour tenter d’éteindre la polémique, France Télévisions a par la suite mandaté un huissier chargé d’ausculter les rushes des caméras ayant enregistré la séquence : celui-ci a validé l’enquête des journalistes. Puis Gérard Depardieu a porté l’affaire en justice. Comme le révélait Télérama le 18 octobre, la cour d’appel de Paris a ordonné qu’un expert organise le visionnage des enregistrements avec les différentes parties. Le Parisien, après consultation du rapport d’expertise de vingt-deux pages, a publié le 21 octobre ses conclusions accablantes pour l’acteur, l’huissier excluant, images de plusieurs caméras à l’appui, que Depardieu puisse parler d’une autre cavalière que l’enfant.

Lire aussi :

 (Mediapart)
Loin du cinéma, des femmes dénoncent le comportement de Gérard Depardieu

Trois femmes affirment à Mediapart avoir été agressées ou harcelées sexuellement par Gérard Depardieu en dehors des plateaux de cinéma. Aucune n’a porté plainte, mais deux ont apporté leur témoignage dans le cadre du procès de l’acteur, qui sera jugé pour agressions sexuelles les 24 et 25 mars.

llesElles étaient vendeuse pour une marque de luxe, couturière, journaliste. Éloignées des caméras, des strass et des paillettes, trois femmes affirment à Mediapart avoir été agressées ou harcelées sexuellement par Gérard Depardieu, à trois époques différentes : 1985, 2007 et 2014.

Jusqu’à présent, la plupart des vingt femmes qui avaient dénoncé le comportement de l’acteur, auprès de la presse ou de la justice, évoluaient dans le monde du cinéma.

Les trois femmes dont nous révélons le témoignage nous ont contacté après nos enquêtes sur le comédien : à la lecture des témoignages, elles ont vu « le même procédé », « les mêmes mots » ou « grognements », le même sentiment « de toute-puissance », et les mêmes « rires » autour. (...)

À force de voir que « des femmes parlaient et étaient prises en considération », à force aussi d’entendre des gens de son entourage minimiser son histoire et railler son envie « d’en parler dix ans après », cette responsable commerciale de 45 ans a décidé de livrer à son tour son récit. Auprès de Mediapart d’abord, puis dans le cadre du procès de l’acteur, fin mars.

Elle affirme avoir subi des « attouchements sexuels » et des « propos sexuels injurieux » de la part de Gérard Depardieu le 21 février 2014. La date figure sur une photo qu’elle a publiée le soir même sur Facebook, sur laquelle on la voit au côté du comédien, sur le canapé vert de la boutique Prada dans laquelle elle travaillait, dans la très chic rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris. « J’avais posté cette photo pour faire comme si tout allait bien, pour occulter ce qui s’était passé », explique à Mediapart l’ancienne vendeuse. Dans les commentaires sous la publication, elle écrivait qu’il fallait « oublier ces gros porcs ». (...)

L’ancienne vendeuse raconte s’être sentie dans « une situation de détresse totale » et n’avoir pu se dégager que lorsque Gérard Depardieu se serait « levé d’un coup ». Elle affirme alors être partie « [se] cacher dans les stocks » puis qu’il aurait quitté la boutique en « hurlant [son] prénom ».

« Tout le monde a rigolé et a semblé penser que j’étais très fière d’être au côté de M. Depardieu. Tout s’est passé dans une grande impunité. » Aurélie Dauchez (...)

À la fermeture du magasin, la vendeuse est partie avec « la peur qu’il ne [la] suive à scooter » et a appelé son père. Contacté par Mediapart, celui-ci se souvient que sa fille lui a téléphoné en état de « choc psychologique » et qu’elle lui a fait part d’une « drague très lourde » et d’« attouchements » de la part du comédien sur le canapé, « au vu et au su de tous ». « Elle s’est sentie comme une petite poupée », raconte-t-il.

Le lendemain, Aurélie Dauchez a confié à deux collègues – qui nous l’ont confirmé – avoir fait l’objet de propos sexuels de l’acteur. L’une d’elles, Davila Sholay, lui a conseillé de le signaler à la direction. Aurélie Dauchez explique ne l’avoir pas fait par « honte » et parce que c’était « peine perdue », selon elle : « Chez Prada, le client est roi, et tout le monde n’avait d’yeux que pour Depardieu. Je me suis dit qu’on dirait forcément que c’est moi qui mentais. » (...)

Constance* : « On n’a rien tenté, on était intimidés »

Du village normand où elle réside, loin de l’univers du septième art, Constance* raconte une autre histoire, « enfouie pendant quarante ans ». Dans une pochette, cette femme de 62 ans a gardé précieusement le carton d’invitation, les autographes et les photos Kodak de cette soirée du 3 septembre 1985, et notamment celle qu’elle considère comme une « preuve » de son récit : on l’y voit toute jeune, en robe rouge, au côté de Gérard Depardieu, du réalisateur Maurice Pialat, du PDG de Gaumont Nicolas Seydoux et d’un comédien. (...)

À l’époque, Constance est rentrée de Paris en se disant « que ce monde-là était pourri » et s’est confiée à sa mère et à sa sœur Véronique, nous confirme celle-ci : « Elle pleurait, elle était vraiment traumatisée. Ça fait quarante ans que, dès qu’on parle de Depardieu, elle se ferme comme une huître. Dès qu’elle le voit à la télé, elle change de chaîne, ça l’énerve. » Son amie Sylvie se rappelle aussi qu’elle lui avait relaté les faits en 2016 lors d’un voyage au Canada. (...)

En 2023, après notre enquête puis la prise de parole de l’actrice Sophie Marceau – qui a raconté l’enfer du tournage de Police et dénoncé l’« attitude grossière et très déplacée » de Gérard Depardieu –, Constance se dit que « là, il faut parler ». Elle contacte Mediapart. Sur Facebook, elle remercie Sophie Marceau et se dit elle-même « victime [des] mains baladeuses et obscènes » de l’acteur « à la soirée de la première de Police ». « J’ai fermé ma bouche pendant presque quarante ans, car devant ce monstre de cinéma, ma plainte se serait retournée contre moi », écrit-elle. (...)

Marie Dalibon : « L’humiliation, la honte, la sidération »

Marie Dalibon a elle aussi été heurtée par la vague de soutien au comédien après l’explosion de l’affaire en 2023, et notamment celui du président Emmanuel Macron, « une gifle sur nos visages, à toutes ». « Combien de femmes doivent témoigner pour qu’on n’entende plus des Carole Bouquet nous expliquer que Depardieu est un gars génial avec elles ? En quoi l’un empêcherait l’autre ? », interroge-t-elle.

Cette journaliste parisienne de 44 ans dénonce des faits qui remonteraient à novembre 2007, sur le tournage en Israël de « Deux, trois jours avec moi », une émission animée par Mélissa Theuriau sur Paris Première, dans laquelle une personnalité fait découvrir sa ville fétiche. (...)

Marie Dalibon se souvient des « rires » de l’acteur, de ceux de l’équipe, et des siens, par « gêne » et pour se « donner une contenance ». « Tout le monde a pris le parti de trouver ça assez drôle, donc j’ai ri bêtement avec la troupe. » La journaliste ignore ce que ses collègues ont pu exactement percevoir et retenir des gestes et propos qu’elle dénonce.

Mais elle se souvient que dans l’équipe de tournage, composée de six hommes, Gérard Depardieu avait « pris le pouvoir des lieux » et qu’il aurait profité à la fois de la fascination qu’il exerçait et d’une ambiance masculine, digne de vestiaires de foot, « prenant à partie les hommes, par exemple quand il a raconté qu’il rangeait les femmes en deux catégories, la maman ou la putain ».

« Je veux porter le message à Depardieu et aux hommes comme lui que le temps de tout se permettre est terminé. » Marie Dalibon (...)

L’argument « elle n’a qu’à porter plainte », souvent opposé aux femmes dans ces affaires, l’agace. « Le débat n’est pas “est-ce qu’il faut porter plainte ou pas”. Évidemment que la justice est indispensable et qu’on est dans un État de droit. Mais on porte plainte une fois que le mal est fait. Or moi je veux agir pour que ça n’arrive plus. Ces comportements sont systémiques, ils peuvent arriver partout. Les dénoncer par la voie médiatique permet de changer les mentalités : désormais, on ne se tait plus. Et à force de dire que c’est inadmissible, ça va s’arrêter. » C’est dans la même démarche qu’elle a adressé une attestation écrite dans le cadre du procès à venir du comédien.