
Comme tous les ans, Nawaat, un des rares médias indépendants tunisiens, à la fois webzine et magazine papier, a tenu son festival dans la capitale. Si le thème initialement prévu cette année était celui des féminismes, l’actualité palestinienne a poussé la rédaction à élargir l’événement pour rendre hommage à l’esprit de résistance.
Du 15 au 17 décembre à Tunis s’est tenue la troisième édition du Festival Nawaat, du nom du blog tunisien fondé en 2004, et qui reste aujourd’hui un des rares médias non inféodés dans le pays. Il est d’ailleurs membre, comme Orient XXI, du réseau des Médias indépendants sur le monde arabe. (...)
tout au long de ce festival, placé sous le thème de la résistance, il est question en premier lieu des corps. Les corps qui résistent, y compris contre eux-mêmes, avec le spectacle de danse Bon deuil !! de Feteh Khiari et Houcem Bouakroucha, accompagné musicalement par Ayoub Bouzidi. Tantôt en souffrance, tantôt complices, les jeunes danseurs contemporains cherchent à s’échapper de leur état/État, transmettant les aspirations révolutionnaires autant que les déceptions collectives. Le corps pense/panse les frustrations, même les plus politiques. Pourtant, dans la piscine vide de Nawaat où se déroule la performance, les jeunes Tunisiens ne plongent pas dans le désespoir. Ils s’évadent en cœur/chœur. L’optimisme grinçant était dans le titre… (...)
le festival ne pouvait faire l’impasse sur la tragédie en cours dans la bande de Gaza. Le collectif Journées du cinéma de la résistance est ainsi mis à l’honneur. Créé à la suite de l’annulation des Journées cinématographiques de Carthage, ce collectif est coutumier des projections sauvages en extérieur. Les dernières en date se sont d’ailleurs tenues en solidarité avec la Palestine sur le mur de l’Institut français de Tunis, aujourd’hui couvert de tags propalestiniens, anti-colonisation et anti-Macron. À l’occasion du festival, le collectif était invité à présenter des films au sous-sol du bâtiment.
Au programme, un entretien filmé avec l’écrivain et militant du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) Ghassan Kanafani remet la quête de justice au centre de la question israélo-palestinienne. Il réfute le terme de « conflit », lui préférant à juste titre celui de « mouvement de libération nationale pour des droits ». Le réalisateur Hani Jawharieh, un des fondateurs de la Palestine Film Unit (mort en 1976 en filmant la résistance) est aussi mis en avant. Scènes d’occupation à Gaza de Moustafa Abou Ali nous apprend que, déjà en 1973, les Gazaouis sont les plus craints par l’armée israélienne, et que, depuis l’occupation de la bande en 1967, plus de 10 000 personnes ont été faites prisonnières, certaines avec des peines de prison de 300 ans. En plus des humiliations quotidiennes clairement recensées, les projets d’évacuation vers le Sinaï et la Cisjordanie étaient déjà évoqués. Enfin, Les Femmes palestiniennes de Jocelyne Saab (1973) permet de saisir la ferveur des combattantes fedayin (ou fida’iyat en l’occurrence). Dans une séquence du documentaire tourné il y a un demi-siècle, l’une d’elles déclare que ce sont aussi « les États-Unis et la France qui nous font la guerre ». L’émancipation des femmes de l’occupation, mais aussi du patriarcat, se fera-t-elle par la lutte armée ?
Cette résistance des mémoires ne laisse pas de côté les Amazighs. Dans son film de réalité virtuelle Les Amazighs, Mémoires perdues (produit par Nawaat), Mohamed Arbi Soualhia cherche à préserver une mémoire collective amazighe (...)
La question des féminicides
Le débat du festival tourne lui aussi autour de la condition des femmes, entre violences et résistances. Il est ouvert par le rappel du féminicide de masse à Gaza, qui a fait plus de 6 500 tuées depuis le déclenchement de l’offensive, sans détailler les conditions sanitaires déplorables qui ont empêché 50 000 femmes d’accoucher dignement.
Nabila Hamza, membre du bureau exécutif de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) insiste sur la multiplication par quatre, depuis 2022, des violences faites aux femmes, avec 27 victimes assassinées. Alors qu’il n’existe pas d’équivalent précis du terme « féminicide » en arabe, l’ATFD a réalisé une cartographie intitulée La Tunisie des femmes tuées. L’association a lancé un tribunal fictif à des fins de recensement, mais aussi « pour honorer la mémoire de ces femmes et raconter leur histoire ».