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Mediapart
Ubérisation : plus d’une centaine de sans-papiers poursuivent la plateforme Brigad
#uberisation #sanspapiers #Brigad
Article mis en ligne le 31 juillet 2024
dernière modification le 29 juillet 2024

Deux procédures, aux prud’hommes et au pénal, vont être lancées contre la plateforme française qui met en relation des entreprises et des indépendants dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration et du médico-social.

« Zéro complexité, 100 % liberté. » Tel est le slogan affiché sur le site internet de Brigad. Créée en 2016, l’entreprise française met en relation, grâce à une application, des travailleurs et travailleuses indépendant·es et des entreprises. D’abord spécialisée dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, elle a élargi son offre au médico-social en 2020. Ses fondateurs l’ont même transformée en société « à mission » : « Valoriser le travail et le rendre accessible à tous. »

Cette mission a-t-elle été menée aux dépens des plus vulnérables ? Près de 170 autoentrepreneurs, en majorité sans papiers, s’apprêtent à poursuivre au pénal l’entreprise pour travail dissimulé et prêt illicite de main-d’œuvre. Ils demandent par ailleurs aux prud’hommes leur requalification en CDI. Privés des droits rattachés au salariat, ils n’ont pas pu bénéficier des congés payés, du paiement des heures supplémentaires ou des droits au chômage.

Le portrait que ces travailleurs dressent de Brigad, qui revendique travailler avec 23 000 indépendant·es et 12 000 entreprises en France et au Royaume-Uni, est peu reluisant

Comme la plupart des 170 plaignants, leur compte a été bloqué dès que leur situation irrégulière a été signalée. Pourtant, pendant plusieurs années, la plateforme s’est enrichie grâce aux missions qu’ils effectuaient. Sur chaque facture, elle prélevait, selon eux, environ 20 % de frais (...)

Un autre indépendant, désormais en CDI, garde un souvenir amer de son année passée sur l’application. « Travailler avec Brigad, c’est vivre dans l’angoisse et le stress au quotidien », atteste-t-il dans un dossier prud’homal en cours de constitution. « L’employeur te traite comme un esclave, il te donne toutes les tâches des salariés et surtout celles que ses propres employés n’aiment pas faire, dénonce le trentenaire. […] On te met à la préparation froide dans le frigo à 3 °C alors qu’on n’a pas l’équipement, on passe sept heures dans le frigo à avoir froid, et on ne peut surtout pas se plaindre. »

Selon lui, impossible de négocier son salaire. Et en tant qu’autoentrepreneur, les transports et les repas sont à sa charge. L’homme affirme aussi avoir assisté à une rencontre dans les locaux de Brigad en janvier 2023. « Ils ont insisté : nous devions obéir aux ordres des employeurs sinon on serait sanctionnés et ils pourraient nous virer », déclare-t-il. (...)

« Avec Brigad, on était tous traités comme des salariés, indique pourtant un quadragénaire qui a eu plusieurs mois d’expérience entre 2022 et 2023. Tout était contrôlé, on devait respecter les horaires fixés par l’employeur, on ne devait pas avoir de retard sinon on pouvait être signalés », poursuit-il.

89 heures de travail en une semaine

Les « brigadiers » sont notés par les sociétés au sein desquelles ils interviennent. (...)

Depuis son arrivée au ministère de l’économie en 2014, l’actuel président n’a cessé d’œuvrer en faveur de l’essor de ces plateformes de mise en relation, comme le relatait Mediapart à l’occasion du rapport d’enquête parlementaire sur les « Uber Files » publié il y a un an.

Plus récemment, la France a aussi été la cheffe de file de l’opposition à la directive européenne destinée à protéger les travailleurs et travailleuses des plateformes.

Dans ce contexte politique, Brigad a reçu un soutien financier : la banque publique d’investissement Bpifrance lui a accordé un prêt de 3,8 millions d’euros, a révélé la cellule investigation de Radio France fin 2023. (...)

Aujourd’hui, le vent semble avoir tourné pour l’application française. Début 2024, elle a annoncé un plan de sauvegarde de l’emploi et la suppression de 40 postes sur 190. « Nos utilisateurs se font embêter, l’Urssaf leur dit que ce n’est pas légal. Ce qui fait que je n’arrive pas à les retenir. J’ai perdu plusieurs millions à cause de ça l’année dernière », déplorait alors le cofondateur de l’application, Florent Malbranche, dans Les Échos.

En 2018, deux agences de travail temporaire ont aussi assigné la société en référé devant le tribunal de commerce (...)

Les sans-papiers espèrent, eux, obtenir leur régularisation. Pour certains, ils ont aussi travaillé par l’intermédiaire d’autres plateformes comme Frichti et auraient cumulé assez de temps de travail, notamment dans des professions en tension, pour pouvoir demander un titre de séjour. Mais la procédure nécessite qu’un employeur appuie la demande auprès de la préfecture. Et le statut d’autoentrepreneur, loin de leur offrir la liberté promise, les prive de la perspective de sortir de la clandestinité.