
Si le cabinet d’audit Créocéan s’affiche comme engagé dans la préservation de la biodiversité marine, des documents internes que s’est procurés Mediapart dévoilent que son pôle international se plie aux desiderata des géants pétrogaziers afin d’« écoblanchir » leurs projets néfastes pour les océans.
Un champ d’éoliennes offshore, des plongeurs cartographiant des coraux ou encore des scientifiques modélisant des fonds marins. Sur son site comme dans sa communication, Créocéan, bureau d’études spécialisé en océanographie depuis plus de soixante-dix ans, se présente comme un « acteur engagé pour un développement durable et une meilleure compréhension des milieux marins ».
Basé à La Rochelle (Charente-Maritime) et fort de 90 salarié·es, ce cabinet d’audit pionnier dans son secteur élabore, pour les projets d’aménagement et industriels marins, des études environnementales ainsi que des protocoles d’évitement, de réduction ou de compensation des impacts des activités humaines sur les écosystèmes en mer. Créocéan l’assure : il vise « le meilleur équilibre entre développement des territoires et protection des ressources ».
Toutefois, Mediapart a obtenu des documents internes au bureau d’études et recueilli des témoignages de quatre ex-salarié·es* qui dévoilent que l’antenne internationale de Créocéan travaille pour des projets en mer écocidaires portés par des multinationales, et tout particulièrement par le géant pétrolier TotalEnergies. Des rapports et notes du cabinet révèlent que la priorité de Créocéan à l’étranger ne semble pas être la protection de la biodiversité marine, mais plutôt l’écoblanchiment de ses gros clients, quitte à atténuer les conclusions de ses études. (...)
Indépendance biaisée
Alors que le bureau d’ingénierie écologique marine est censé garantir l’indépendance de ses expertises, trois ex-employé·es de Créocéan ont confié à Mediapart que les industriels qui leur commandaient des études « envoyaient quelqu’un sur le terrain » lorsqu’ils réalisaient leurs évaluations environnementales. « La présence du client pendant les études, ça crée forcément un peu de pression », explique l’un·e de ces ex-salarié·es.
À titre d’illustration, Mediapart a eu accès à un rapport de mission de Créocéan de juin 2014 pour évaluer la restauration de mangroves par TotalEnergies dans le delta de la Mahakam, en Indonésie, où le géant énergétique extrayait à l’époque des hydrocarbures. Il y est notifié que sur les neuf personnes de l’équipe de terrain envoyées pour effectuer les évaluations écologiques, trois étaient des représentants du pétrolier. (...)
Pis, certains protocoles d’études marines du bureau d’études ont été en amont validés par les clients eux-mêmes. (...)
Interventionnisme des clients
Parfois, le commanditaire d’une étude intervient jusque dans les rapports rédigés par Créocéan, quand les conclusions ne vont pas dans son sens. (...)
Comme déjà expliqué par Mediapart dans une série d’enquêtes sur le bureau d’ingénierie écologique Biotope, l’indépendance des expertises des cabinets d’audits environnementaux est viciée par un conflit d’intérêts patent, puisque le bureau d’études est rémunéré par son client pour évaluer les impacts écologiques du projet porté par ce dernier. (...)