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Un directeur proxénète, des maltraitances et une trésorerie suspecte : quand le privé lucratif se mêle de protection de l’enfance
#ASE #enfance #servicepublic #protectiondelEnfance #TandemEducadis #Maltraitances
Article mis en ligne le 30 septembre 2025
dernière modification le 27 septembre 2025

Jeudi, un ex-cadre du groupe Tandem Educadis, qui accueille des enfants placés, a écopé de prison ferme pour avoir continué d’exercer malgré une condamnation pour proxénétisme. Mais ce dysfonctionnement en cache bien d’autres, au sein d’une entreprise qui prétend conquérir toujours plus de départements.

VoilàVoilà une « petite » condamnation qui éclabousse, par ricochet, beaucoup de monde. Jeudi 25 septembre, un ancien dirigeant de Tandem Educadis, groupe privé dont le business consiste à accueillir des enfants placé·es de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), a écopé de trois mois de prison ferme devant le tribunal correctionnel de Niort (Deux-Sèvres), pour avoir pratiqué son activité en toute illégalité : une condamnation pour proxénétisme remontant à 2022 lui interdisait d’exercer dans la protection de l’enfance.

Bien qu’informé de ce casier, Tandem a non seulement gardé ce salarié dans ses rangs mais l’a promu, jusqu’à un poste de directeur général. « C’était un bon professionnel », maintient auprès de Mediapart le président fondateur du groupe, David Boyer-Durocher, un « self made man » parti de rien et désormais à la tête d’une véritable holding, avec des filiales dans chaque département conquis et une opacité entretenue savamment.

Sa spécialité : l’accueil d’enfants porteurs de troubles « psy » et de handicaps multiples, ceux que les départements – chargés de l’ASE en France – appellent « les cas complexes » et qu’ils ont un mal fou à prendre en charge, dans leurs foyers publics ou dans ceux confiés à des associations à but non lucratif.

Sur cette « niche », le groupe privé basé en Gironde n’a cessé de prospérer ces dernières années, décrochant des marchés dans six départements, et en ciblant toujours plus. Mais derrière cette réussite de vitrine, Mediapart a mis au jour une réalité peu reluisante. (...)
« Carences d’hygiène et éducatives du lieu de vie Tandem », écrivent par exemple des agent·es d’un collège, au printemps 2025. Dans le détail : une élève est arrivée sans « culotte, ni protection […] alors que c’est une jeune incontinente » et qu’elle a besoin de couches. Ses chaussures étaient « dans un état déplorable », ses semelles trouées, son pantalon trop court – au risque d’accentuer encore sa stigmatisation. Pis : un salarié de Tandem est venu lui apporter des médicaments qui étaient destinés à une autre.

Des confidences d’enfants placés sont couchées noir sur blanc, parlant de « balayettes » et de « clefs de bras », mais aussi de « coups de pied » et de « claques » qui seraient infligés par des adultes de Tandem.

Accusations mensongères ? Sous le sceau de l’anonymat, un·e salarié·e du groupe privé affirme à Mediapart : « Oui, on peut parler de gifles, de vêtures qui ne sont pas faites, de gamines qui partent [le matin] avec leurs règles sans protections, de rendez-vous médicaux pas honorés... Il y a de gros manquements partout. » Le nombre d’enfants autorisé par maison a parfois été dépassé.

En interne, on confie également qu’une mineure (d’au moins 15 ans), particulièrement vulnérable, aurait eu des relations sexuelles avec un éducateur – ayant donc autorité sur elle. (...)

Au passage, nombre d’observateurs soulignent une incongruité : entre février et septembre 2025, pas moins de trois agent·es du département, issu·es de la direction chargée de la protection de l’enfance, ont rallié le groupe privé. Dont la chargée de mission ayant contrôlé Tandem et l’actuel directeur de la filiale, Thibaud Ferreira. Se défendant de tout conflit d’intérêts, ce dernier préfère considérer « cette transversalité comme un atout »...

En réalité, les Deux-Sèvres ne sont pas le premier département à se sentir trahis. Ces dernières années, plusieurs ont déjà décidé d’arrêter les frais.

Une enquête ouverte pour escroquerie

Dès 2022, le conseil départemental des Landes (classé à gauche) avait déclenché un audit, en raison d’« interrogations sur l’adéquation entre les prestations payées par le département et l’offre de services proposée aux enfants », explique la collectivité.

Or « il a démontré des flux financiers entre l’établissement [des Landes], la holding et des SCI [sociétés civiles immobilières] qui nous ont paru nécessiter d’alerter le parquet ». D’après nos informations, la justice a ainsi été saisie au printemps 2023. Et aujourd’hui, les Landes en ont définitivement terminé avec le privé lucratif.

Mais en Gironde aussi, Tandem a fâché le département. « Nous avons fait un contrôle qui nous a fait penser que la qualité de la prise en charge ne correspondait pas aux moyens qu’on octroyait, et que tout l’argent n’allait pas aux enfants », indique la collectivité. Et là encore, le procureur a été saisi.

Questionné par Mediapart, le parquet de Bordeaux confirme l’ouverture d’une enquête préliminaire des chefs d’« abus de biens sociaux », « abus de confiance » et « escroquerie », confiée à la brigade financière : « Des vérifications et investigations sont en cours. » (...)

En parallèle du judiciaire, la Gironde a été le premier département, en janvier 2024, à placer deux filiales locales de Tandem sous administration provisoire, pour un an, « le temps de trouver un lieu pour chaque enfant » et d’y voir clair dans les comptes.

L’administrateur désigné s’est alors heurté à une certaine opacité. (...)