
Les avocates et avocats d’associations anticorruptions et des familles de victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA ont plaidé lundi, au procès des financements libyens, devant la chaise vide de Nicolas Sarkozy, qui n’a pas daigné venir les écouter.
Elles forment un ensemble disparate que l’on appelle société civile. Ici, des organisations non gouvernementales qui luttent contre la corruption et les atteintes à la probité. Là, des familles de victimes de l’attentat terroriste contre l’avion de ligne DC-10 de la compagnie UTA, qui avait fait 170 morts en 1989. En théorie, elles n’ont rien en commun et pourtant le procès des financements libyens les a réunies pendant plus de deux mois sur le même banc des parties civiles, dont la journée du 24 mars a été consacrée aux plaidoiries de leurs avocat·es.
Par son ampleur et sa gravité, le procès Sarkozy-Kadhafi est un procès de corruption historique. D’où la présence des trois associations spécialisées Sherpa, Anticor et Transparency International, qui, pour la première fois de leur existence, ont fait front commun dans une même audience. (...)
Plus ancienne partie civile dans ce dossier – elle s’est constituée à l’ouverture de l’enquête judiciaire en 2013 –, l’association Sherpa a évoqué par la voix de son avocat, Vincent Brengarth, « un procès emblématique de faits de corruption qui ont atteint une intensité jamais atteinte ». C’est pourquoi il a voulu se faire à la barre le relais du « souffle citoyen de la société civile » qui doit porter le tribunal de Paris dans sa décision, car « pèse [sur lui] une attente considérable ».
« Dans ce dossier, il y a de nombreux politiques mais ce n’est pas un procès politique », a-t-il affirmé, se disant « stupéfait » par l’absence de Nicolas Sarkozy durant les plaidoiries des parties civiles.
À rebours de certains récits médiatiques voire des manipulations de presse qui ont pu exister dans cette affaire – comme la fausse rétractation de Ziad Takieddine –, Me Brengarth a d’abord souligné l’« extraordinaire richesse de ce dossier ». « On nous a répété à l’envi qu’il y avait une absence de preuves. Tout démontre le contraire. C’est la caverne d’Ali Baba de la preuve ! »
L’avocat de Sherpa a relevé, en miroir, le « caractère faillible de la défense ». « On attendait des explications claires comme de l’eau de roche. On a eu des invraisemblances qui ont frisé la désinvolture. Certaines juridictions n’en auraient pas accepté le quart, ni le dixième. »
Pour lui, « l’ossature de l’accusation a été confirmée » par les vingt-neuf journées de débats qui se sont tenues depuis l’ouverture du procès le 6 janvier. Me Brengarth a stigmatisé la « logique clanique de la défense qui s’est dessinée avec beaucoup de netteté » au fil des audiences. Avec des prévenus « ontologiquement dans le déni » qui ont pris soin de calquer leurs dépositions sur celles de Nicolas Sarkozy.
Nier jusqu’à l’absurde (...)
C’est aussi ce qu’a plaidé l’avocat Vincent Ollivier, défenseur d’une vingtaine de familles de victimes de l’attentat contre le DC-10. Il a dénoncé un « étalage de mensonges » de la part des prévenus, « qui n’ont eu aucune difficulté à nier l’évidence ». « C’est une insulte à notre intelligence et à celle de la justice. » (...)
Tout cela lui a fait dire que pour Nicolas Sarkozy, « l’homme le moins bien informé de France, qui ne sait rien sur rien », ce « procès a été la continuation de la politique par d’autres moyens ». (...)
L’avocate a dit l’effroi des familles de victimes du DC-10, dont « la mémoire a été une monnaie d’échange » dans cette histoire, quand elles ont découvert que la France, pays directement frappé par le terrorisme aveugle de Kadhafi, a déroulé le tapis rouge sous les pieds du dictateur libyen en décembre 2007. « Quand Kadhafi a été accueilli en grande pompe, on avait tous pressenti dans nos chairs que ça clochait. Il a fallu attendre aujourd’hui pour mettre des mots et des qualifications juridiques dessus. »
Me Heinich a dénoncé l’attitude à la barre de Nicolas Sarkozy, qui « a eu la parole plus que n’importe quel autre prévenu ». « Mais quelle indécence quand il dit que la justice c’est pire quand c’est lui. Il aurait voulu être jugé comme les autres ? Réalise-t-il à quel point il a été bien traité ? » (...)
La notion de preuve
La preuve, justement. Selon l’avocate d’Anticor, Claire Josserand-Schmidt, le dossier est rempli d’« éléments entrelacés dans une chronologie qui ne laissera la place à aucune coïncidence ». « La preuve parfaite n’existe pas dans les dossiers de corruption. Il n’y aura pas de virement du compte de Kadhafi sur celui de Sarkozy », a-t-elle plaidé, rappelant que « le faisceau d’indices, précis, graves et concordants, c’est lui qui fait la preuve » en droit.
L’avocat de Transparency International, François de Cambiaire, est du même avis. (...)
Tous les avocats des parties civiles ont dit d’une même voix que l’argumentation des prévenus, qui voudrait que l’équipe Sarkozy ait été « piégée » par l’intermédiaire Ziad Takieddine dans le but d’« escroquer » la dictature Kadhafi, ne résistait pas à l’examen des faits. (...)