
Déjà affaibli par de multiples crises, le pays a été frappé par plusieurs séismes dans l’est du pays. La région, montagneuse et reculée, est difficile à atteindre. Les obstacles s’accumulent pour les équipes de secours.
(...) Construit sur une pente, ce petit hameau abritait auparavant près de 200 personnes. Une dizaine n’a pas survécu, dont l’un des cousins de Dilawar, tandis que 70 blessé·es ont été évacué·es dans les hôpitaux les plus proches. « Certaines maisons sont toujours intactes, c’est vrai, reconnaît-il, avant de désigner de ses doigts émaciés les bâtiments encore debout. Mais elles sont invivables. Nous avons peur de retourner à l’intérieur et qu’un nouveau séisme ait lieu. Alors, nous restons dehors, ici. (...)
Le vieil homme ne s’y trompe pas. En une semaine, plusieurs répliques se sont succédé, et ont encombré encore davantage la voie d’accès au village. Les tremblements légers rythment les journées et plongent les habitant·es dans la terreur. Tout juste osent-ils s’approcher de leurs anciennes demeures, hanté·es par le souvenir des décombres et de la possibilité de se trouver de nouveau en dessous.
La population s’agglutine depuis dans huit tentes surchargées. Du fait de leur nombre, Dilawar et les 18 membres de sa famille ont pris possession d’un abri entier.
« Personne ne nous prête attention »
À la peur des secousses et de nouvelles destructions s’agrège une angoisse plus sourde, celle d’être complètement oublié par les pouvoirs publics et de ne pas pouvoir survivre, faute de ressources. « Le gouvernement fait sans doute de son mieux, mais nous n’avons reçu de la nourriture que deux fois. Un sac de blé, et un autre de pain », soupire Dilawar, au moment où un groupe d’adolescent·es revient justement à Ghonday, les bras chargés de portions individuelles de riz, de pain et d’un plat en sauce. C’est donc la troisième distribution alimentaire de la semaine. (...)
« Nous essayons de survivre comme nous pouvons. Nous mangeons toutes les vingt-quatre heures. Nous faisons face à un manque de blé, et les routes sont en si mauvais état qu’il est très difficile pour les secours de venir jusqu’à nous. Le peu d’aide que nous recevons ne suffit clairement pas à nos besoins », détaille-t-il. Menuisier et charpentier, le septuagénaire a perdu tous ses outils, et donc son activité.
À ses côtés, Mohammad Zada, la cinquantaine, barbe peinte au henné et regard cristallin, renchérit : « Nos panneaux solaires ont aussi été détruits, nous n’avons plus d’électricité. J’ai entendu qu’il y avait énormément de fonds étrangers, de dons d’ONG pour notre pays. J’espère que l’argent sera dépensé correctement et qu’il nous servira à reconstruire notre village. Pour le moment, personne ne nous prête attention, peut-être que nous ne sommes pas assez nombreux. »
Il admet que les routes en mauvais état obstruent l’acheminement de l’aide d’urgence, mais il craint que la situation ne s’améliore pas. (...)
Huit jours après le séisme, l’accès aux villages les plus reculés constitue toujours un enjeu crucial et colossal. Le bilan provisoire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait état de plus de 2 200 personnes mortes et plus de 3 600 blessées. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) estime que près de 500 000 individus sont affectés par le séisme, répartis dans les provinces de Kunar, Laghman et Nangarhar.
Des milliers d’entre eux vivent dans des zones isolées, montagneuses, accessibles uniquement en hélicoptère ou à pied, au prix de plusieurs heures de marche. (...)
Équipes de police, ONG locales, volontaires du secteur privé ou de la société civile s’astreignent à ce trajet quotidien.
Des crises en cascade
Les répliques, dont celle survenue jeudi dernier, de magnitude 6,2, achèvent de compliquer la tâche. Au lendemain du séisme, le porte-parole taliban de l’autorité chargée de la gestion des catastrophes naturelles (Andma) appelait à de l’aide internationale. En deux jours, les autorités ont assuré plus de 155 vols d’évacuation vers différents hôpitaux, ont notamment mis en place un centre de coordination et de soins dans une base militaire du district de Khas Kunar, et distribué des centaines de plats cuisinés aux sinistré·es.
Dans ses rapports journaliers, l’OMS s’inquiète que les femmes et les filles pâtissent de la réduction des effectifs humanitaires féminins – conséquence des restrictions imposées par les talibans – et du manque d’espaces qui leur sont réservés. Les familles que Mediapart a rencontrées sur place ont assuré que toutes les femmes blessées ont été déplacées vers des centres de soins. De nombreuses femmes et enfants se trouvaient également dans des véhicules d’évacuation.
Depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021, le pays est affaibli par de multiples crises (...)
(...) La réduction brutale des financements de l’Agence américaine pour le développement (USAID), qui fournissait 43 % de l’ensemble des fonds humanitaires déclarés dans le pays, a conduit à la fermeture de centaines d’établissements de santé. L’OMS a déjà envoyé six cliniques mobiles dans les zones sinistrées.
Hôpitaux engorgés (...)
« Je travaille ici depuis sept ans, et je n’avais jamais connu ça. C’est le pire événement dont j’ai été témoin entre ces murs, se souvient Waheedullah Bawar, neurochirurgien. Des centaines de blessés se sont déversés ici, nous avons dû en mettre certains dans les mêmes lits. Nous n’avons pas suffisamment d’équipements, notre pays se trouve dans une situation terrible. »
Épuisé, les traits tirés et les yeux soulignés de larges cernes, le praticien pointe les conditions difficiles d’exercice : « Nous essayons de répondre à tout le monde et de faire de notre mieux, mais nous manquons de moyens. Nous n’avons pas de machines. Dès qu’un patient a besoin de faire un scanner ou une IRM, nous devons l’envoyer à Kaboul. » (...)