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Mediapart
Valérie Masson-Delmotte : « Le climat change très vite. Nous avançons lentement derrière »
#rechauffementclimatique
Article mis en ligne le 25 juin 2025
dernière modification le 22 juin 2025

Au moment où la France s’apprête à vivre une vague de chaleur précoce, la climatologue, membre du Haut Conseil pour le climat, revient sur une situation qui devient critique, alors que les objectifs de l’accord de Paris ne pourront pas être atteints.

Vingt-sept départements sont placés jeudi 19 juin en vigilance canicule, principalement dans l’ouest, et des pointes de chaleur vont monter par endroits jusqu’à 38-39 °C d’ici à ce week-end : le territoire est entré dans une vague de chaleur précoce, comme il y a trois ans, à la veille d’un été qui avait battu des records de sécheresse.

« Depuis 2022, des vulnérabilités importantes éclatent au grand jour », dit à Mediapart la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, qui vient de cosigner, avec soixante autres scientifiques parmi les plus réputé·es sur le sujet, une étude qui fait l’état des lieux du changement climatique pour l’année 2024.

Publié jeudi dans la revue Earth System Science Data, l’article montre que la trajectoire mondiale actuelle ne permettra pas de rester dans les clous de l’accord de Paris signé il y a dix ans et que « les activités humaines » continuent d’accentuer « le déséquilibre énergétique de la Terre » et « l’élévation du niveau de la mer ». (...)

Est-il encore temps d’atténuer ces déséquilibres ? Comment s’adapter à ce monde qui chauffe ? Entretien avec la directrice de recherche, membre du Haut Conseil pour le climat. (...)

Valérie Masson-Delmotte : Depuis le dernier rapport du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – ndlr] que j’avais supervisé en 2021, nous réactualisons tous les ans les indicateurs clés à partir d’un même jeu de données. Le prochain rapport étant prévu pour 2028, il nous semblait pertinent de publier quelque chose dans l’intervalle, pour donner la réalité des faits. (...)

Ce que l’on a observé, c’est que les émissions de CO2 liées aux énergies fossiles continuent d’augmenter, même si elles augmentent moins vite, et qu’il n’y a pas de ralentissement du tout du côté des émissions de méthane – le deuxième facteur de réchauffement, un gaz provenant à la fois de fuites d’énergie fossile et de l’activité agricole. On n’a pas encore atteint le pic.

Autrement dit, dans leur ensemble, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, et leur niveau de concentration dans l’atmosphère monte également. Ce qui fait que la chaleur se retrouve piégée, et l’effet des activités humaines sur le bilan d’énergie de la Terre a augmenté plus fortement ces dix dernières années que les décennies précédentes. (...)

Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où les températures ont augmenté en moyenne de 1,24 °C par rapport à la période de référence de 1850-1900. Sur ce 1,24 °C, 1,22 °C est directement attribuable à l’activité humaine. La dernière décennie, à elle seule, a vu les températures monter de 0,27 °C, ce qui est nettement plus rapide que la décennie précédente, où l’on était sur une hausse de 0,2 °C environ.

Il faut ajouter, pour l’année 2024, la variabilité spontanée du climat : en raison d’El Niño et du courant chaud dans l’Atlantique Nord, la température s’est réchauffée à un niveau encore supérieur, et nous avons dépassé la hausse de 1,5 °C. Il s’agit certes d’une année record, mais ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est une année banale dans le monde réchauffé que nous connaissons aujourd’hui. La probabilité est que cela se produise une fois tous les six ans. (...)

On le voit en France : de plus en plus souvent, des saisons très humides succèdent à des saisons très sèches… Et l’Europe est aujourd’hui le continent qui se réchauffe le plus vite.

Seulement vingt-quatre pays ont réussi, dans la durée, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est le cas de l’Union européenne depuis 1990, des États-Unis depuis 2004, et cela n’augmente plus en Chine depuis l’an dernier. Partout ailleurs, les émissions continuent d’être à la hausse. (...)

Nous ne sommes pas sur la pire trajectoire : des actions, comme la lutte contre la déforestation, ont aidé, depuis le protocole de Kyoto [signé en 1997, entré en vigueur en 2007 – ndlr] et l’accord de Paris, au ralentissement des émissions. Mais ce n’est pas suffisant.

Maintenant que limiter la hausse à 1,5 °C n’est plus atteignable, il faut la limiter dans une fourchette proche. Tout cela va dépendre des choix qui vont être faits. Une « transition juste » est indispensable.

Peut-on parler d’échec de l’accord de Paris ?

Ce que je peux vous dire en tant que scientifique, c’est que cet accord avait établi un certain nombre d’objectifs pour éviter des risques graves entraînés par le changement climatique : accès à l’eau, sécurité des lieux de vie, production alimentaire… Et ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que tous ces impacts se sont aggravés. On comprend donc encore mieux pourquoi il est nécessaire de limiter la hausse des températures au niveau le plus bas possible.

Cela peut paraître abstrait de parler de températures au niveau mondial. Mais de fait, chaque dixième de degré compte pour les phénomènes de sécheresse agricole ou de hausse du niveau de la mer. (...)

notre travail repose en partie sur des jeux de données venant des États-Unis. Si nous avons pu les utiliser cette fois-ci, nous sommes inquiets sur la possibilité d’y accéder à l’avenir. (...)

Nous voyons bien que nous ne pourrons pas nous adapter indéfiniment et à tout, et que c’est coûteux. Il s’agit de transformer les villes, d’adapter les logements, d’améliorer des conditions devenues de plus en plus difficiles – en particulier pour le secteur agricole et pour celui du bâtiment –, de protéger des littoraux… Et nous avons des limites économiques : nous ne pourrons pas financer tous les moyens de s’adapter. (...)

Les pertes et dommages vont par ailleurs en augmentant, quand on voit le phénomène de retraits-gonflements qui touche les constructions sur les sols argileux. Depuis 2022, des vulnérabilités importantes éclatent au grand jour : problèmes d’approvisionnement en eau, incendies à grande échelle, catastrophe à Mayotte…

Autant d’événements qui dépassent notre capacité de réponse et sur lesquels les autorités passent en gestion de crise. Des populations se trouvent particulièrement vulnérables : les personnes âgées, les très jeunes enfants, les femmes enceintes, les gens malades...

Il faut regarder tout cela lucidement. Avoir en tête que les jeunes générations d’aujourd’hui vont être exposées à des situations sans commune mesure avec les générations d’avant. Qu’il n’est pas normal de passer son bac aujourd’hui dans des bâtiments scolaires qui ne sont pas du tout adaptés aux fortes chaleurs.

Le meilleur moyen de limiter tous ces dégâts, c’est d’atténuer le changement climatique. L’adaptation est nécessaire, mais elle ne sera pas suffisante.