
Entre 2020 et 2022, 13 pays de l’UE ont enregistré au moins 488 décès en garde à vue ou lors d’interventions policières. La France présente les chiffres les plus élevés, suivie de l’Irlande, de l’Espagne et de l’Allemagne.
J’ai crié ‘Mon fils est malade, il a besoin d’aide’. Ils n’ont pas écouté, ils sont venus pour tuer », raconte Momtaz Al Madani. Le 30 mai 2018, au cours d’un épisode psychotique, son fils, Yazan Al Madani, 27 ans, est sorti en hurlant sur le balcon de sa maison à Rotterdam, un couteau à la main. Son père a appelé les forces de l’ordre ; peu de temps après, des policiers sont arrivés, armés de pistolets, de boucliers, de tasers et accompagnés de chiens. (...)
Depuis 2022, la mort de Yazan Al Madani fait l’objet d’une enquête menée par la Cour européenne des droits de l’homme. (...)
(...) La France présente les chiffres les plus élevés : entre 2020 et 2022, le pays a enregistré 107 décès en garde à vue ou lors d’interventions policières. Viennent ensuite l’Irlande, l’Espagne et l’Allemagne, qui comptent respectivement 71, 66 et 60 décès. Toutefois, au regard de sa population, l’Irlande est le pays qui compte de loin le nombre de décès le plus élevé par habitant (...)
« Lorsque l’on établit des comparaisons avec d’autres juridictions, il est important de garder à l’esprit la manière dont ces incidents sont définis et catégorisés. En effet, cela peut varier considérablement d’un pays à l’autre », écrit la Commission du médiateur de la police nationale irlandaise.
Dès 1991, les Nations unies ont demandé aux pays de fournir des informations publiques sur tous les décès liés à la police. Le Portugal s’est mis à publier des données en 1997, le Danemark en 2012 et la France en 2018 seulement. (...)
En 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a exigé des données de la part de tous les pays concernant les décès survenus lors d’une privation de liberté, de l’arrestation à l’emprisonnement, en passant par la détention provisoire. Le Conseil de l’Europe confirme lui aussi le manque de données et souligne l’absence de définition et de méthodologie communes au sein de l’Union sur les décès en détention et la manière dont les enquêtes doivent être menées. (...)
« Il s’agit d’un sujet encore tabou en France, car dès que l’on accuse la police, on est contre la police », résume le journaliste Ivan du Roy, du média français indépendant Basta !, le premier à avoir recueilli des données sur les décès survenus en garde à vue et lors d’opérations de police. (...)
Migrants et les personnes souffrant de troubles psy principales victimes
Sur les 13 pays ayant fourni des données sur les décès liés à la police entre 2020 et 2022, la Hongrie fournit des informations sur la nationalité des personnes décédées dans tous les cas et l’Autriche, la République tchèque, l’Allemagne et l’Espagne dans certains cas seulement. En tout, ces pays ont fourni des données sur la nationalité des personnes décédées pour 55 des 488 décès signalés au cours de ces trois années. La moitié des cas recensés étaient des étrangers.
Pour le sociologue Mathieu Rigouste, cette concentration de décès parmi les populations immigrées est liée à l’histoire coloniale de pays tels que le Royaume-Uni, l’Espagne et la France. « Les crimes perpétrés par la police se concentrent sur les prolétaires non blancs », explique-t-il. (...)
Seuls le Danemark, l’Espagne, la France et l’Allemagne ont confirmé que dans 43 cas, les personnes décédées souffraient de problèmes de santé mentale ou se trouvaient dans un « état d’agitation » (...)
En septembre 2024, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a alerté les Pays-Bas et la Belgique sur le nombre élevé de personnes handicapées décédées sous la responsabilité de leurs forces de l’ordre et a demandé à ces pays d’ajuster la formation de leurs forces de police.
Les blessures par balle, première cause de décès (...)
Au moins 98 personnes sont décédées. Sur ces 98 décès, 41 ont eu lieu en France et 27 en Allemagne. (...)
D’après Basta !, le nombre de décès causés par des tirs de la police en France a considérablement augmenté depuis 2017, année marquée par une réforme de la loi relative à la sécurité publique, qui a assoupli les conditions d’utilisation des armes à feu par les policiers.
Mais ce n’est pas tout : il arrive que des décès sont liés à des armes soi-disant non létales, telles que des tasers, que la police peut utiliser en suivant des protocoles qui contredisent les recommandations du fabricant, comme le fait de ne pas utiliser ces armes contre des personnes se trouvant dans un état d’agitation.
Entre 2020 et 2022, nous avons identifié au moins huit cas de décès impliquant l’utilisation de tasers, quatre en Allemagne, trois aux Pays-Bas et un en France. Dans cinq de ces cas, la personne décédée souffrait de troubles mentaux ou se trouvait dans un état d’agitation. De plus, au moins une autre personne est décédée des suites de violences policières au cours de la même période.
La police autonome catalane (les Mossos d’Esquadra) a tué Antonio, un habitant de Badalona, de six coups de taser. (...)
Les décès d’origine « naturelle » sont considérés comme la deuxième cause officielle de décès, avec 55 cas entre 2020 et 2022. Il s’agit d’une dénomination « fourre-tout », utilisée principalement en Espagne, qui fait état de 27 morts naturelles sans pour autant fournir plus de données sur le contexte (...)
Arrêtés en état d’ébriété, morts en garde à vue
Dans de nombreux autres cas de décès classés comme « naturels », la personne décédée présentait un état d’intoxication à l’alcool et aux drogues. (...)
Entre 2020 et 2022, nous avons identifié au moins 43 suicides en garde à vue. La plupart se sont produits en Espagne, en France et au Danemark, mais dans d’autres pays, qui comptent moins de décès liés à la police et moins d’habitants, les suicides constituent la quasi-totalité des décès en garde à vue. (...)
Des enquêtes insuffisantes
Malgré la recommandation des Nations unies selon laquelle la procédure d’enquête sur les décès liés aux forces de l’ordre devrait être soumise à un examen public, les informations sur ces enquêtes restent rares dans la plupart des cas. (...)
Depuis 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné à 236 reprises des pays de l’UE pour n’avoir pas enquêté sur d’éventuels cas de torture ou de mauvais traitements, et à 157 reprises pour n’avoir pas enquêté sur des décès survenus lors de contacts avec la police ou dans d’autres contextes. (...)
Dans la plupart des cas de décès, les administrations publiques n’ont pas non plus fourni de données sur les conséquences pénales ou professionnelles pour les policiers impliqués. (...)