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Visualisez l’emplacement des munitions chimiques et conventionnelles enfouies dans les fonds marins français
#armes #explosifs #fondsmarins #pollution
Article mis en ligne le 30 mai 2024
dernière modification le 27 mai 2024

Franceinfo publie un recensement inédit des décharges d’explosifs immergées, en collaboration avec les équipes de l’émission "Vert de rage" diffusée sur France 5.

Les deux guerres mondiales ont laissé derrière elles des centaines de tonnes de munitions chimiques et conventionnelles (bombes, grenades, torpilles) inutilisées. Dès 1920, le gouvernement français s’est servi de la mer comme d’une poubelle pour se délester à moindre coût de ces armes toxiques et dangereuses. Mais où se trouvent exactement ces décharges à munitions ? Dans un nouveau numéro, diffusé lundi 27 mai sur France 5, l’émission "Vert de rage" tente de reconstituer le plus précisément possible les emplacements de ces décharges, mais aussi la présence avérée de munitions ou de mines dans des épaves.

Cet inventaire, non exhaustif, permet de donner une idée de l’ampleur des immersions, qu’elles soient volontaires ou non. (...)

Certaines de ces zones sont bien identifiées et protégées par des interdictions de plongée, de baignade ou de navigation, établies par les préfectures maritimes et indiquées sur les cartes maritimes. Mais, en l’absence d’un recensement précis, d’autres zones restent accessibles au public, pouvant présenter un danger pour les pêcheurs et les plongeurs.

Une pratique qui a eu cours jusqu’en 2002

Dès les années 1920, trois méthodes de déversement en mer étaient utilisées pour se débarrasser des munitions : le sabordage des navires pour les faire couler ; le pétardage, qui consistait à enterrer des munitions pour les faire exploser (ce fut notamment le cas en baie de Somme) ; et l’immersion des munitions, par avion, sous-marin ou bateau, dans des endroits plus ou moins profonds, et peu fréquentés par les bateaux (...)

"Un problème insoluble"

Ces immersions font aujourd’hui courir deux risques majeurs pour la biodiversité : les explosions sous-marines, qui font l’effet d’un tremblement de terre pour les poissons, et l’érosion des gaines en métal protégeant les munitions, qui provoque la fuite de substances toxiques. Dans le cas des munitions chimiques, le gaz moutarde finit ainsi par se diffuser dans les fonds marins, infectant les mollusques, les algues, les poissons, et par conséquent l’ensemble de la chaîne alimentaire. Aujourd’hui est une période critique puisque les scientifiques estiment qu’il faut 80 à 100 ans pour qu’une munition finisse par s’abîmer.

La dissémination de ces composants toxiques dans l’environnement sous-marin crée aussi une réaction chimique qui mène à l’hypoxie, un taux d’oxygène insuffisant dans l’eau, étouffant au passage les organismes vivants (...)

"Il est probable que le remède soit pire que le mal : manipuler des munitions érodées, qui sont depuis des dizaines d’années dans la mer, risque d’accélérer la dissémination des agents chimiques dans l’eau."
Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris, à Franceinfo

(...)

Des taux de composants d’explosifs jamais observés

En plus de son travail de recensement, "Vert de rage" a réalisé, en partenariat avec le chercheur Aaron Beck, responsable du groupe de travail Geomar, des mesures de composants d’explosifs, tels que le TNT et ses dérivés, dont la toxicité est préoccupante. (...)

Résultat : à Fouras, les taux de DANT, une molécule issue de la dégradation du TNT, atteignent 2 401 nanogrammes par litre (ng/L) dans l’eau. C’est le taux le plus élevé jamais observé par l’équipe de chercheurs allemands. Le TNT est potentiellement cancérigène et suspecté de nuire à la fertilité, ainsi que de provoquer des malformations génétiques. (...)

Même conclusion du côté de Courseulles, où les niveaux de contamination étaient similaires aux taux observés en mer Baltique, où plusieurs milliers de tonnes d’armes conventionnelles et chimiques ont été immergées. Des résidus de TNT et de ses dérivés, jusqu’à 242 ng/kg, ont aussi été retrouvés dans le sable.

"Une question ultrasensible" pour les autorités (...)

A ce jour, le nombre exact de munitions immergées est difficile à estimer et aucune cartographie officielle et exhaustive n’existe, malgré la promesse du ministère de la Transition écologique d’en produire une (...)

Comment expliquer la difficulté du recensement ? "Ces immersions ont été effectuées par des services différents, en métropole comme en outre-mer. L’administration est tellement complexe qu’elle ne sait pas elle-même où elle a mis ces dossiers", argue Bertrand Sciboz. "Les premières immersions ont été effectuées immédiatement après la Première Guerre mondiale, sans que ces opérations soient forcément documentées", renchérit Olivier Lepick.

Toutes les données existantes sont donc produites par des commissions internationales comme la convention Ospar (Oslo-Paris) ou par des associations. Selon Olivier Lepick, un travail de recensement, même non exhaustif, a certainement dû être effectué par la Direction générale de l’armement (DGA) depuis le début des années 1990. "Le problème, c’est que ces données ne sont pas accessibles au public et encore moins publiées." En effet, la France oppose le secret-défense à toute question relative au déversement d’armes en mer. Un secret-défense renforcé en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

"C’est une question ultrasensible : quels responsables politiques seraient prêts à reconnaître que la France a eu des comportements aussi inacceptables ?, poursuit Olivier Lepick. Ces immersions ont eu lieu à une époque où la sensibilité environnementale était très réduite, voire nulle." De son côté, le caractère dangereux des munitions (en particulier chimiques) n’encourage pas les autorités à une diffusion d’informations trop précises sur les stocks et la localisation des armes immergées.