
VSA et Jeux Olympiques : Coup d’envoi pour les entreprises de surveillanceAprès des mois d’attente, les entreprises chargées de mettre en place la vidéosurveillance algorithmique dans le cadre de la loi Jeux Olympiques ont été désignées. Sans grande surprise, il s’agit de sociétés s’étant insérées depuis plusieurs années dans le marché de cette technologie ou entretenant de bonnes relations avec l’État. Les « expérimentations » vont donc commencer très prochainement. Nous les attendons au tournant.
Un marché juteux
Rappelez-vous : le 17 mai 2023, le Conseil constitutionnel validait le cadre législatif permettant à la police d’utiliser la vidéosurveillance algorithmique (VSA) en temps réel, après plusieurs mois de bataille législative en plein mouvement des retraites. Depuis, que s’est-il passé ? Un appel d’offres a tout d’abord été publié dès l’été pour lancer la compétition entre les nombreuses entreprises qui ont fleuri ces dernières années dans le secteur. Ce marché public, accompagné de clauses techniques, décrit les exigences auxquelles devront se soumettre les entreprises proposant leurs services et, en premier lieu, les fameuses situations et comportements « suspects » que devront repérer les logiciels afin de déclencher une alerte. En effet, la loi avait été votée à l’aveugle sans qu’ils soient définis, ils ont ensuite été formalisés par un décret du 28 août 2023.
Comme nous le l’expliquons depuis longtemps1, ces comportements n’ont pour beaucoup rien de suspect mais sont des situations pour le moins banales (...)
Le tout pour 8 millions d’euros d’acquisition aux frais du contribuable.
Sans surprise, ces huit cas d’usage pour les algorithmes commandés par l’État dans le cadre de cette expérimentation correspondent à l’état du marché que nous documentons depuis plusieurs années au travers de la campagne Technopolice. (...)
ils confirment au passage que cette « expérimentation » est surtout un terrain de jeu offert aux entreprises pour leur permettre de développer et tester leurs produits, en tâchant de convaincre leurs clients de leur intérêt.
Car depuis des années, la VSA prospérait à travers le pays en toute illégalité – ce que nous nous efforçons de dénoncer devant les tribunaux. Ces sociétés ont donc œuvré à faire évoluer la loi, par des stratégies de communication et d’influence auprès des institutions. (...)
Après plusieurs mois de tests et de mises en situation, retardées par le fait qu’une entreprise a contesté en justice les conditions du marché, celui-ci a donc été attribué au début du mois de janvier. (...)
Une évaluation incertaine
Ces entreprises pourront ainsi mettre à disposition leurs algorithmes, bien au-delà des seuls Jeux olympiques puisque cette expérimentation concerne tout « évènement récréatif, sportif et culturel », et ce jusqu’au 31 mars 2025 soit bien après la fin des JO. Elle sera par la suite soumise à une « évaluation » présentée comme particulièrement innovante mais dont les modalités avaient en réalité été envisagées dès 2019 par Cédric O, alors secrétaire d’État au numérique, comme une manière de légitimer la reconnaissance faciale (...)
Mais il ne faut pas se leurrer. Au regard de l’agenda politique de ces entreprises et des autorités qui veulent, à long terme, légaliser ces outils et de façon générale toute forme de surveillance biométrique3, cette « expérimentation » pendant les Jeux olympiques doit être vue comme une simple étape vers la légitimation et la pérennisation de ces technologies. En évoquant un dispositif au caractère temporaire et réversible, ce concept d’« expérimentation », permet de rendre une technologie aussi controversée que la VSA plus facilement acceptable pour le public.
Le caractère expérimental permet également de sortir du cadre classique juridique d’examen de proportionnalité. Ainsi l’évaluation ne portera pas sur les critères habituels de nécessité vis à vis d’un objectif d’intérêt public ou de proportionnalité vis à vis des atteintes aux droits. Non, l’évaluation sera plutôt guidée par une approche pragmatique et opérationnelle. (...)
Surtout, on peine à voir comment l’État abandonnerait soudainement une technologie dans laquelle il a tant investi et à laquelle il a déjà cédé énormément de place dans les pratiques policières. Les exemples passés nous montrent que les projets sécuritaires censés être temporaires sont systématiquement prolongés, telles que les boites noires de la loi Renseignement ou les dispositions dérogatoires de l’état d’urgence.
L’issue du comité d’évaluation risque donc d’être surdéterminée par les enjeux politiques et économiques (...)
À la fin, c’est toujours la police ou les industriels qui gagnent. Or, nous le répétons depuis des années : le choix qui devrait s’imposer à toute société qui se prétend démocratique est celui de l’interdiction pure et simple de ces technologies. Mais il est clair qu’en l’absence de pression citoyenne en ce sens, ni le gouvernement, ni la CNIL, ni la plupart des autres acteurs invités à se prononcer sur les suites à donner à l’expérimentation de la VSA ne voudront envisager de refermer la boîte de Pandore. (...)
Nous les attendrons au tournant. L’expérimentation de la VSA ne doit pas rester invisible. Au contraire, il nous faudra collectivement documenter et scruter ces arrêtés préfectoraux afin de pouvoir s’opposer sur le terrain et rendre matérielle et concrète cette surveillance de masse que tant veulent minimiser. La voix des habitantes et habitants des villes, des festivalier·es, des spectateur·ices, de l’ensemble des personnes qui seront sous l’œil des caméras, sera cruciale pour rendre visible l’opposition populaire à ces technologies de contrôle. Dans les prochains mois, nous tâcherons de proposer des outils, des méthodes et des idées d’actions pour y parvenir et lutter, avec vous, contre l’expansion de la surveillance de masse dans nos rues et dans nos vies.
Le public au service du privé (...)