
S’inspirant du père de l’indépendance indienne, Rajagopal organise d’immenses marches pacifiques. Objectif : permettre aux déshérités des campagnes, dont il est devenu le héros, d’accéder à la propriété de terres cultivables
Rajagopal dégage une aisance qui lui vient peut-être de son passé de danseur classique indien. L’accolade est franche, le sourire, large. « You’re doing a great job, my friend », lance-t-il aux quelques journalistes et responsables d’association venus le rencontrer à Paris, début décembre, dans les loges d’une petite salle de spectacle du 2e arrondissement. Difficile d’imaginer qu’on est ici face au héros de millions d’Indiens, « quasi inaccessible » dans son pays, nous a-t-on prévenu, tant il y est sollicité, dans la rue, et par téléphone – celui-ci sonne sans cesse.
Contrôle de la terre
À 7000 km de là, ce n’est pas en dansant que l’homme est devenu célèbre, mais en marchant. Rajagopal est l’initiateur de l’une des plus grandes marches non-violentes de l’histoire de l’humanité. C’était en 2012. Le 2 octobre, 100 000 paysans indiens cheminent de la ville de Gwalior vers le Parlement, à New Delhi, la capitale. Leur objectif : obtenir le droit à posséder leur propre terre. Femmes, hommes, jeunes, vieux : une marée de tenues multicolores et de drapeaux se met en marche pacifiquement. Au bout de dix jours, quand le cortège est à Agra, avant même d’arriver à destination, le gouvernement cède. Un accord est conclu. Il prévoit une réforme agraire qui fournira des terres cultivables et des terrains habitables aux déshérités des campagnes. Une victoire pour des millions d’Indiens. Parmi les marcheurs, on trouve aussi une dizaine de paysans français, venus soutenir en Inde une agriculture responsable et équitable. De cette rencontre entre producteurs du Nord et du Sud naîtra un documentaire, Un nouveau monde en marche. C’est ce qui nous donnera l’occasion de rencontrer Rajagopal, de passage en France pour la projection du film. (...)
À la façon d’un Stéphane Hessel, l’homme vante les mérites de la révolte contre l’ordre des choses : « Il y a l’énergie du vent et du soleil, l’énergie nucléaire, et puis celle de la colère. L’homme révolté voit sa volonté décuplée. C’est un énorme gisement d’énergie, disponible partout. La vraie question est de savoir comment la mobiliser de façon constructive. » (...)
Le conseil de Rajagopal aux manifestants occidentaux est sans appel : « Vous êtes trop désorganisés ! Il ne suffit pas de jeter dans la rue des mécontents. Un rassemblement, ça se prépare. Il faut se fixer une ligne de conduite. Par exemple, en apprenant à ne pas réagir aux provocations de la police. » (...)
L’homme ne voit pas la manif comme une guerre mais comme un acte mutuel de transformation. Il s’agit de faire « changer l’autre pour se changer soi-même », plutôt que d’attiser les dissensions. Comme ces policiers indiens qui, à force de surveiller la procession, sont venus apporter aux manifestants vêtements et nourriture, une fois la nuit et l’uniforme tombés. Mais ne nous y trompons pas, le procédé puise aussi son efficacité dans une culture bien ancrée : « c’est Gandhi qui a popularisé le Satyagraha : la résistance à l’oppression par la désobéissance non violente. Après lui, beaucoup d’autres Indiens ont pratiqué la marche pacifique. Il y a une vraie tradition sur ce continent. » (...)
" Il y a assez de richesses dans le monde pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour l’avidité de tous. »
Près d’un siècle plus tard, la phrase de Gandhi sert de boussole à Rajagopal. Sa philosophie, son mode d’action peuvent-ils faire des émules ? « Je le crois, avance-t-il. Le problème de l’accaparement des terres n’est pas propre à l’Inde. Les paysans d’Afrique font face aux mêmes difficultés. »
D’ailleurs, celui que plusieurs médias internationaux ont surnommé « le nouveau Gandhi » trouve aussi son inspiration hors d’Inde : Evo Morales, en Bolivie, pour les droits donnés aux indigènes ; le Dalaï-Lama, au Tibet, pour son action non-violente ; José Mujica, président de l’Uruguay, pour sa défense d’un développement sobre. Et Nelson Mandela, bien entendu, qui lui, attend son successeur.
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