
Il y a 20 ans tout juste, le mouvement altermondialiste bloquait le sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle. Depuis, « les enfants de Seattle » sont restés orphelins de toute transformation politique ambitieuse pour renverser le cours néolibéral et destructeur des choses. Le même sort sera-t-il réservé à la « génération climat » ?
Les 29 et 30 novembre 1999 à Seattle (États-Unis), environ 40 000 manifestants précipitent l’échec du sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils sont protecteurs des forêts ou des tortues, métallurgistes ou routiers, paysans ou défenseurs des droits humains, et, ensemble, par des actions de désobéissance civile massives et coordonnées qui empêchent un sommet international de se tenir, ils écrivent l’un des actes fondateurs du mouvement altermondialiste.
La bataille de Seattle, retranscrite sur les écrans des médias du monde entier, ouvre une longue période de contestation dure entre les promoteurs de l’expansion de la mondialisation néolibérale et une société civile qui veut désarmer le pouvoir des marchés financiers et du commerce international au nom de la lutte contre les inégalités, la protection de l’environnement et la démocratisation des institutions internationales. (...)
En 1999, les gauches libérales et sociales-démocrates sont au pouvoir dans un nombre considérable de pays : Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, etc, au point d’être majoritaires en Europe. Toute une époque. Vingt ans plus tard, ces gauches-là ont été laminées et se trouvent, le plus souvent, dans une impasse stratégique et idéologique. Quand elles ne sont pas déjà arrivées au pouvoir, ce sont désormais les droites nationalistes et réactionnaires qui dictent l’agenda politique.
Entre temps, plutôt que de s’appuyer sur les exigences du mouvement altermondialiste pour mener des politiques sociales et écologistes ambitieuses, ces gauches libérales et sociales-démocrates n’ont cessé d’accompagner et encourager l’approfondissement de la mondialisation néolibérale. Elles ont choisi des politiques de dérégulation et de compétitivité, au nom des intérêts des « champions nationaux », ces entreprises multinationales qui sont, avec les actionnaires, les seuls véritables vainqueurs de l’ouverture généralisée des marchés et de la financiarisation de l’économie.
Aspirations à « reprendre le contrôle »
Cet alignement sur le consensus néolibéral a conduit à démonétiser la crédibilité des gauches et à nourrir un profond sentiment de rejet d’une classe politique jugée déconnectée de la réalité sociale du plus grand nombre. (...)
En 20 ans, la situation économique et géopolitique internationale a bien changé : à la mondialisation folle et débridée des années 2000 s’est substituée une période de « slowbalisation » - selon le terme de The Economist – où le commerce international augmente désormais moins vite que le PIB. C’est aussi le moment où la Chine s’affirme comme super-puissance planétaire et tisse sa toile jusqu’en Europe en suivant les "Route de la Soie". Enfin, quelques années à peine après la grave crise économique et financière de 2008, les « guerres commerciales » ouvertes par Donald Trump ont définitivement refermé l’âge d’or du commerce mondial.
Entre temps, et c’est un autre fait économique majeur de ces vingt dernières années, les entreprises multinationales ont assis leur super-puissance : à travers la maîtrise des chaînes de valeur globales (production et échanges intra-entreprise ou inter-entreprise de la conception à la livraison), elles contrôleraient même directement ou indirectement près de 80 % du commerce mondial. Sur la base du moins disant social, écologique, fiscal et réglementaire, elles décident où s’installer et où payer des impôts.
L’économie mondiale est devenue un champ de bataille structuré autour des réseaux de multinationales (...)
Quand les législateurs et régulateurs retrouvent quelques velléités interventionnistes afin de mieux réguler et contrôler, notamment en matière écologique, les entreprises multinationales disposent désormais de puissants mécanismes juridiques pour attaquer les États ou les dissuader de mettre en œuvre des politiques trop ambitieuses. (...)
Désarmer le pouvoir et l’impunité des multinationales
Qui pilote la transition énergétique, des États ou des multinationales de l’énergie qui investissent au moins dix fois plus dans les énergies fossiles que dans les énergies renouvelables ? Qui régulent le gaspillage, des pouvoirs publics ou d’Amazon & co qui, notamment à travers le Black Friday, organisent une surconsommation frénétique aux impacts sociaux et environnementaux démentiels ? Qui légifèrent alors que sont désormais documentés tant d’exemples où les lobbys industriels ont co-écrit les lois avec ceux qui ont pour mandat de les réguler ?
Le réchauffement climatique et les inégalités ne cessent de s’aggraver, montrant aux yeux du plus grand monde les limites de la stratégie des petits pas et des accommodements raisonnables avec les pollueurs destructeurs d’emplois. Ne serait-il donc pas temps de desserrer l’étau qui s’est refermé sur la fabrique de la loi et la régulation de l’économie ? C’est en tout cas ce qu’exigent les enfants de la bataille de Seattle qui continuent, inlassablement, à mettre à l’index ces multinationales devenues trop puissantes : notre avenir est-il soluble dans celui que nous concoctent Total, Amazon & co sans notre consentement explicite ? S’il ne l’est pas, comment désarmer leurs pouvoir et impunité ?
Ne pas être orphelin d’une gauche écologiste et sociale digne de ce nom (...)
Puisse la « génération climat » ne pas être orpheline, comme l’ont souvent été les enfants de Seattle, d’une gauche écologiste et sociale digne de ce nom en mesure de renverser le cours néolibéral et destructeur des choses.