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Entre les lignes, entre les mots
50 ans après la naissance de Playboy. La tyrannie du nouvel ordre sexuel
Article mis en ligne le 15 octobre 2017
dernière modification le 19 octobre 2017

Les années 1990 ont connu une explosion de la production et de la consommation de pornographie. Le territoire pornographique, qui était confiné auparavant dans le privé et le caché, s’affiche publiquement (Authier, 2002 ; Deleu, 2002) avec arrogance même. La pornographie fait « chic » (Pittet, 2002), branchée et moderne ; elle squatte la publicité et les médias. Certaines marques de luxe utilisent des images qui flirtent avec le sadomasochisme ou la zoophilie (Authier, 2001), d’autres, comme Dior, adoptent « l’esthétique » de la « tournante »1, appellation du viol collectif en France (Remy et al. 2001). La libération sexuelle des années soixante a accouché d’une vaste industrie libre-échangiste du sexe tarifé.

En fait, le capitalisme a récupéré le sexe et a trouvé « vocation […] à marchandiser le désir, notamment celui de la libération, et par-là même à le récupérer et à l’encadrer » (Boltanski et Chiapello, 2002 : 226). Nous assistons à une inflation iconique (Debray, 1994 : 455), marquée par une sexualité exhibitionniste, agressive, hyperréaliste et frénétique, ponctuée d’actes sexuels de plus en plus extrêmes2 : gang bang, double et triple pénétration, zoophilie, bukkake, ondinisme, fisting, etc. Selon le hardeur et producteur de pornographie, HPG (2002), la simple pénétration vaginale ne suffit plus pour exciter les consommateurs.

L’objectif de cet article est d’examiner l’état actuel de l’industrie pornographique et de tirer un bilan des connaissances sur les effets de la consommation de la pornographie. (...)

le chiffre d’affaires mondial de la pornographie « s’élève à près de 52 milliards d’euros »3. C’est la troisième industrie du Danemark. La vidéo pornographique représente à elle seule un marché de 19 milliards d’euros4 (Dusch, 2002 : 101). L’industrie hôtelière est complice : à chaque film visionné dans une chambre, elle reçoit 20% du prix de location. (...)

En 1997, on dénombrait approximativement 22 000 sites Web proposant un contenu pornographique en accès libre ; en 2000, ce chiffre était passé à 280 000 sites (Hugues, 2001 : 28). Une enquête a dressé, en 1999, une liste de 30 000 sites pédophiles sur un total estimé à 4,3 millions de sites sur le Web (Guttman, 1999).

La vente de magazines à contenu sexuel diminue à mesure que les consommateurs se tournent vers la vidéo et Internet (...)

De plus, « la croissance explosive de la diffusion de la pornographie, la commercialisation agressive […] piègent les internautes contre leur volonté » (Flores cité par Hugues, 2001 : 44), ce qui implique que la pornographie s’impose même à ceux qui ne désire pas la consommer.

En Californie, où se trouvent la majorité des infrastructures états-uniennes de production, l’industrie pornographique déclare employer 20 000 personnes et reverser 31 millions de dollars US en taxes à l’achat pour le seul secteur des ventes de vidéo (...)

L’industrie internationale de la pornographie enfantine ou pédopornographie est, aux États-Unis, l’une des plus grandes « industries artisanales ». D’après des estimations d’experts, le chiffre d’affaires de la pornographie enfantine atteindrait aux États-Unis entre deux et trois milliards de dollars US par an (Ellengeber, 2002). Les producteurs de pédopornographie auraient filmé un million d’enfants seulement aux États-Unis (CMESCE, 2002). En 1996, le Premier Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle d’enfants à des fins commerciales, tenu à Stockholm, rappelait qu’un million d’images pornographiques et 40 millions de pages Internet étaient consacrées à la pornographie enfantine. La tendance est depuis à la hausse. (...)

Peu coûteux et facilement accessible, Internet est utilisé comme « une vraie maison de vente par correspondance », non seulement pour le matériel pornographique, « mais également en vue de réellement vendre des êtres humains » (Walraet, 1999 : 32). Via Internet, les trafiquants proposent des guides spécialisés en ligne pour les touristes sexuels et les clients de la prostitution. (..)

Les images créées pour assouvir les fantasmes des consommateurs de la pornographie infantile et qui sont produites à partir d’enfants, de pré-adolescents et d’adolescents sont très souvent le résultat d’abus sexuels. En fait, la pornographie mettant en scène des enfants est, en elle-même, un crime (Sellier, 2003) : « La pédopornographie est presque toujours l’enregistrement d’un crime en train d’être commis. Les enfants que l’on voit sur ces photos ont été, au moment où elles ont été prises, exposés à des actes dégradants et humiliants de caractère criminel. Sur certaines de ces images, ils sont battus ou brûlés ou sont exposés aux pires actes de dépravation sexuelle. Ils font l’objet d’une manipulation psychologiquement éprouvante pour les amener à poser de façon obscène avec d’autres personnes, y compris d’autres enfants. Aucune image pornographique d’un enfant n’a été produite sans que l’enfant souffre », peut-on lire dans un document déposé au deuxième Congrès mondial contre l’exploitation des enfants à des fins commerciales tenu à Yokohama (ECPAT, 2001). De plus, la pornographie est employée comme moyen pour faire accepter aux enfants des relations sexuelles avec un adulte aussi bien que de les amener à consentir à se prostituer (...)

Le sexe tarifé à la mode

Cette industrie mondiale et tentaculaire vise aujourd’hui la reconnaissance, proclame sa légitimité et s’achète une vertu. Elle a sa presse spécialisée, ses festivals de films, ses salons, ses chaînes spécialisées de télévision, ses créneaux horaires sur les chaînes généralistes, ses sites Internet qui foisonnent et qui sont dans les plus rentables de la toile mondiale (Lane III, 2000 : 34). En outre, elle a ses apologistes. Fière d’être une hardeuse, Ovidie, publie son Porno manifesto (2002), dans lequel elle prône une nouvelle culture du « féminisme pro-sexe »5, dénonce les « méfaits du féminisme moderne » comme un « faux féminisme » et légitime la pornographie, considérée comme libératoire. (...)

Dans l’univers du capitalisme libéral, où la norme sociale est si importante, la pornographie et ses images sont devenues des modèles, comme s’il ne s’agissait plus de savoir ou non aimer mais seulement consommer, autrement dit « baiser ». Cette obsession du plaisir à tout prix – une tyrannie selon Guillebaud (2001) – se traduit dans une sorte de course à la conformité, où le corps, féminin avant tout, subit de multiples transformations physiques (piercing, tatouage, chirurgie plastique) qui relèvent à la fois de la mode et de codes sociaux. (...)

dans cette époque marquée par la marchandisation généralisée et la vénalité triomphante9, dans cette ère de l’extimité, c’est-à-dire de l’intimité surexposée (Tisseron, 2002), il y a un souci de rendre acceptable et banale la représentation pornographique. À tout le moins, la frontière entre le X et le non X n’est plus très claire, la pornographie s’ébat de plus en plus, avec succès, hors de son ghetto, en proposant de nouvelles normes sexuelles de plus en plus extrêmes. Aussi, des magazines destinés aux adolescentes, comme Vingt ans (dont le lectorat a en fait 16 ans), font écho à l’imagerie pornographique et la banalisent incroyablement. (...)

La pornographie n’est donc plus réservée aux ghettos des sex-shops et des salles spécialisées. Elle est désormais une industrie mondiale, massivement diffusée et totalement banalisée. En France, les chaînes hertziennes, câblées et par satellites proposent chaque mois 840 diffusions de films X (Ozanam, 2002)10. Par le câble ou le satellite, au Canada, les téléspectateurs ont accès à des dizaines de chaînes spécialisées dans la pornographie. Il existe même une chaîne canadienne d’informations en continu, Naked News, qui fait présenter l’actualité par des femmes et des hommes nus. Depuis l’arrivée massive des cassettes vidéo dans les années quatre-vingt, du téléphone rose et enfin de l’Internet, ce ne sont plus seulement les adultes qui consomment de la pornographie, mais également les adolescents, voire les pré-adolescents. Selon Denise Stagnara, la moitié des enfants français de 10-11 ans ont déjà vu un film X (Ozanam, 2002)11. (...)

Dans de telles conditions, « quelles seront les valeurs et les références des enfants qui auront grandi dans une telle société ? » demande Christian Authier (2001) qui met en évidence l’apparition de nouvelles formes de délinquance en France – notamment les viols collectifs – et l’explosion du nombre des mineurs mis en examen pour des viols ou des agressions sexuelles (ainsi que l’augmentation parallèle du nombre de mineures victimes de ces agressions). Ces nouvelles formes de délinquance sexuelle ne seraient-elles pour rien en rapport avec le conditionnement pornographique général ? Lors de récents procès de mineurs impliqués pour des viols collectifs, les confrontations entre victimes et accusés ont montré qu’outre l’effet d’entraînement du groupe, la représentation de la sexualité dans les films pornographiques avait biaisé leur perception de la sexualité (Ozanam, 2002). Pourtant, il y a toujours négation de l’influence qu’un tel étalage et matraquage audiovisuel peuvent avoir sur les individus, et en particulier sur des enfants et des adolescents. (...)

Au cours des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, des psychologues, lors d’expériences en laboratoire, ont montré que la consommation de pornographie banalisait, chez les sujets exposés, le viol et stimulait l’agression (Feschbach et Malamuth, 1978 ; Donnerstein, 1980 ; Russel, 1998 ; O’Toole et Schiffman, 1997). D’autres recherches en laboratoire ont conclu que la pornographie, dans certaines circonstances, peut créer des effets spécifiques chez les hommes : on a constaté, entre autres, un renforcement de la croyance que les femmes sont insignifiantes et sans valeur, une acceptation plus importante des mythes du viol ; on a assisté également à une augmentation du nombre d’hommes qui pensaient pouvoir commettre un viol dans certaines circonstances (Russel, 1998 ; O’Toole et Schiffman, 1997 ; Kimmel et Linders, 1996 ; Bauserman, 1996 ; Bergen et Bogle, 2000). Bref, même si ces recherches ne prouvent pas que la pornographie cause le viol ou que la pornographie n’a aucun rôle dans la violence sexuelle, une bonne partie des études conclue que la pornographie crée des changements d’attitude chez des hommes qui en consomment. Un grand nombre d’études ont conclu que la pornographie pouvait jouer un rôle dans la violence sexuelle, mais soulignent que ce rôle varie énormément selon les hommes ; en conséquence, il est impossible de définir les facteurs précisément qui influencent cette violence (Bauserman, 1996). En effet, si méthodologiquement on tente d’isoler un seul facteur pour comprendre les comportements humains violents, on en arrive toujours à de telles conclusions, car ces comportements dérivent d’une constellation de facteurs, dont la consommation de la pornographie n’est certes pas le moindre. (...)

L’univers idéologique masculin dans la pornographie est régi par le concept de virilité. Ce concept renvoie à ceux de puissance sexuelle et de réussite sociale, de possession et de domination (Poulin, 1993 : 43). Pour posséder et dominer les femmes, pour prouver leur virilité, des hommes violent. « Hypermasculinité », virilité, puissance et domination sexuelle sont des questions étroitement liées dans la pornographie. Comment séparer l’une de l’autre et expliquer l’une par l’autre ? Ces questions doivent être considérées comme un semble, comme une constellation de facteurs explicatifs de comportements sexuels pouvant mener à la violence. (...)

Une enquête réalisée à San Francisco, en 1978, estimait que 10% des femmes avaient été « indisposées par des hommes qui, ayant lu quelque chose dans un médium pornographique, ont essayé de les amener à faire ce qu’ils avaient vu » (Russell, 1983 : 256-260). Ce pourcentage est une estimation minimale puisque de très nombreuses femmes peuvent ignorer que leur partenaire consomme de la pornographie. Ce pourcentage augmente de façon importante (à 74%) quand les femmes échantillonnées ont été victimes de viol (Russel, 1983 ; Cramer, McFarlane, Parker, Soeken, Silva et Reel, 1998). Selon une enquête de Bergen et de Bogle (2000), 32% des femmes victimes de viols enregistrés à la police ont été obligées par leurs abuseurs de poser à des fins pornographiques. Dans une étude de Cramer, McFarlane, Parker, Soeken, Silva et Reel (1998), 24% des prostituées qui ont été violées ont fait mention de l’utilisation par leur assaillant de pornographie au cours de l’assaut. L’enquête du Centre-Femmes de Beauce (2002 : 32-33), La pornographie n’est pas sans conséquences, révèle que 13% des femmes ont subi des pressions de la part de leur conjoint et 8% ont posé des gestes contre leur gré ou qui les ont rendues mal à l’aise en rapport avec la pornographie. Une étude californienne a révélé que 57% des délinquants sexuels interrogés ont pratiqué sur leurs victimes des actes vus dans des films pornographiques. Enfin, en France, l’anthropologue Daniel Welzer-Lang (1988) a tiré des conclusions similaires à la suite de son enquête auprès d’hommes accusés de viol. (...)

Des liens évidents existent entre la prostitution enfantine, le tourisme sexuel impliquant des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Parmi les pays dans lesquels ces pratiques sont courantes, plusieurs deviennent d’importantes sources de nouveau matériel pornographique mettant en scène des enfants. La traite d’enfants à des fins sexuelles est très répandue dans certains pays. On estime que 200 000 filles népalaises de moins de 14 ans sont réduites à l’esclavage sexuel en Inde, 10 000 enfants de 6 à 14 ans sont prisonniers des maisons de prostitution au Sri Lanka, 600 000 enfants thaïlandais ont été vendus à des proxénètes et quelque 15 000 filles cambodgiennes ont été vendues comme esclaves sexuelles entre 1991 et 1997 (Unicef, 2003). Au cours des dernières années, la Russie est devenue l’un des plus grands pays producteurs de pornographie mettant en scène des enfants, le deuxième après les États-Unis. À la suite de la progression du tourisme sexuel impliquant des enfants dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, on a vu apparaître des images d’enfants d’Asie et d’Europe de l’Est, à mesure que les exploiteurs filmaient leurs actes criminels à des fins commerciales.

Un certain nombre de psychiatres travaillant en milieu carcéral n’hésitent plus, aujourd’hui, à dénoncer, chez certains, un comportement addictif à la pornographie, et le rôle de cette dépendance dans leur passage à l’acte. (...)

Les médias offrent actuellement aux enfants prépubères et postpubaires un accès à la pornographie dans toutes manifestations. Cependant, les conséquences a venir d’une telle exposition ne sont pas connues (Rédaction, 2002).

L’Internet offre un accès incomparable à la pornographie (Strasburger et Donnerstein, 1999). Un enfant naviguant sur Internet peut être piégé dans un site pornographique par des moyens simples et efficaces. Une recherche menée en juin 2000 par l’organisme américain Crimes against Children Research Center (Finkelhor et Hashima, 2001), basée sur 1 501 interviews d’adolescents âgés de 10 à 17 ans, a montré que 20% des adolescents ont été sollicités sexuellement sur Internet durant l’année écoulée et un adolescent sur trente a été sollicité de façon pressante.

L’étalement pornographique

Il y a trente ans, il était peut-être possible de ne pas subir l’imagerie pornographique ; aujourd’hui cela semble impossible. Radio, clips, bande dessinée, télé, Internet montrent le corps, le sexe et la jouissance. Cet empire des images régit les représentations. Un adolescent a, aujourd’hui, accès à tout le visuel accessible. Cela nourrit son imaginaire, avant même son entrée dans l’âge de la sexualité.

Non seulement le capitalisme libéral est-il devenu un nouveau régime libidinal faisant la promotion d’un nouvel imaginaire sexuel, basé sur l’érotisation outrancière et la consommation sexuelle, mais il y a un nouveau régime des images. Ce régime d’images, fixes ou animées, s’avère de plus en plus dégradant, extrême et violent tant psychiquement que physiquement : les gens qui produisent des films pornographiques ont déjà tout montré. Qu’est ce qu’il leur reste à montrer ? (...)

La pornographie déréalise les atrocités qu’elle engendre (Mayné, 2001 : 37).

Ce nouvel ordre sexuel traduit, à l’aube du XXIe siècle, les paradoxes d’une libération sexuelle des plus équivoques. Si les scènes de nudité et d’accouplements sexuels envahissent les moyens de communication, de toute évidence, ces images ne participent pas à une libération sexuelle, mais plutôt à l’enfermement de la sexualité dans des rapports de sujétion. (...)

La pornographie ne dérange pas l’ordre social, elle ne fait que le renforcer ; elle intensifie plus particulièrement l’ordre marchand et l’ordre sexiste. (...)

Aussi longtemps que l’ordre marchand et sexuel sera florissant, des trafiquants en tout genre s’ingénieront à l’alimenter de chair fraîche, car là où il y a d’énormes bénéfices disparaissent les sentiments humains. La métamorphose des fantasmes sexuels en transactions commerciales ne laisse pas de place à la philanthropie.

Lire aussi :La relation entre pornographie et hypersexualisation
Le présent article tend à démontrer le lien existant entre la prolifération invasive de la culture pornographique et son impact à travers toutes les strates de la vie sociale, peu importe le sexe, l’âge ou l’orientation sexuelle de la personne. Lien relevant à la fois de l’évolution instrumentalisée en ce qui a trait à l’accessibilité aux images devenues hors de tout contrôle et à la fois du comportement de l’être dans toute sa complexité, dont l’hypersexualisation. Pointe de l’iceberg dépassant le caractère de simples photos ou de films dits explicites et que tout le monde croit connaître : celle d’être prisonnier de ses propres pulsions lorsque la crudité des images offertes par simple procuration devient réalité.