
La reprise de la ville du sud du pays est une victoire éclatante pour les Ukrainiens. Mais l’artillerie ennemie est juste derrière l’infranchissable Dniepr…
Début novembre, Sergueï Kaouchane avait fini par se décider : il tenterait de retourner à Kyselivka, village du sud de l’Ukraine fondé par des immigrés polonais il y a deux siècles, où il avait bâti ces dernières années un business agricole florissant. Revenir pour quelques heures tout au plus, constater les dégâts, récupérer quelques documents administratifs oubliés dans le chaos de la fuite au mois de mars, couper l’eau avant les premières gelées. Voir de ses yeux. Il faudrait ensuite repartir vite : si le dernier soldat russe a quitté Kyselivka au début de l’été, la ligne de front gratte depuis les limites d’un village transformé en invivable champ de bataille. (...)
L’ami, lui aussi originaire du village, explique : « On veut essayer d’aller à Kyselivka. » Le soldat jette un vague coup d’œil au passeport que lui tend l’homme – le nom du village qui y est inscrit servant de preuve de bonne foi – et le rend avec un petit rire. « Essayer ? Mais allez-y ! Nos gars sont déjà presque à Kherson », 25 kilomètres plus loin.
Pour la première fois depuis six mois, Sergueï franchit le portail de sa maison, debout mais percée dans sa façade d’un trou béant, et fond en larmes (...)
Alors, pour la première fois depuis près de six mois, depuis qu’il a fui avec sa famille l’occupation du village par l’armée russe, Sergueï Kaouchane fait ce dernier virage, dépasse le terrain de foot et son herbe verte tachée de quelques trous noirs, révélant la terre riche du sud de l’Ukraine, et rentre dans Kyselivka. Les rues sont criblées de cratères et souillées de débris, la route principale barrée de carcasses de véhicules blindés – certains russes, d’autres ukrainiens –, les bâtiments et les maisons de bois endommagées au mieux, rasées au pire. La majorité des quelque 1 000 habitants ont fui il y a déjà plusieurs mois. Les soldats ukrainiens aussi sont partis, courant après une ligne de front qui vient de bondir une cinquantaine de kilomètres plus au sud. (...)