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Mediapart
A Lille, le suicide de Fouad, lycéenne transgenre, secoue l’institution scolaire
Article mis en ligne le 19 décembre 2020

Mercredi 16 décembre, Fouad, jeune lycéenne trans de 17 ans, s’est donné la mort. Quelques jours plus tôt, l’administration lui refusait l’accès de la classe parce qu’elle portait une jupe. Devant le lycée Fénelon, l’émotion est forte et l’urgence est à la protection des jeunes LGBT, y compris au sein de l’école. L’Éducation nationale, elle, a beaucoup de retard théorique à rattraper sur le sujet. Entretiens avec des lycéens mobilisés, et explication d’une déconnexion sociétale. (...)

Depuis son arrivée à la mi-septembre au lycée Fénelon de Lille, Fouad semblait avoir trouvé un semblable en Annabelle. Fouad se genrait au féminin, aimait porter des barrettes bariolées, des boucles d’oreilles, du maquillage et puis, un jour, elle osa la jupe au lycée. L’adolescente était au début de son parcours de transition, et préférait qu’on l’appelle par son prénom de naissance jusqu’à ce qu’elle en adopte un nouveau. Elle hésitait entre Luna et Avril.

Annabelle, lui, ne se sépare que rarement de ses costumes achetés seconde main à Emmaüs, ni de son sac aux couleurs du drapeau LGBT. Annabelle préfère qu’on se réfère à lui comme à un homme, au lycée et en dehors, et aimerait voir valser les normes de genre. 

Difficile pour le lycéen de retenir son émotion en lisant les derniers messages adressés à son amie. Mercredi 16 décembre, à 17 heures, Annabelle envoie un premier message resté sans réponse : « Salut !! Tu vas mieux ? » Puis un second, quelques heures plus tard : « Fouad, je suis tellement désolé de tout ce qu’ils t’ont fait. Je me suis battu à tes côtés et je continuerai de me battre pour toi. Tu étais quelqu’un de formidable. Je suis ravi d’avoir eu la chance de te connaître. » Après quelques secondes de flottement, il range vite son téléphone dans sa longue veste d’hiver et une amie le prend dans ses bras. « Ça va aller, ça ira. On ne la laissera pas tomber. Il faut que ce soit la dernière fois que ça arrive », se répètent-ils avec une sagesse qui étonne pour leur âge. 
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Plusieurs élèves, dont certains font partie de la classe de Fouad, attestent que sa référente de l’aide sociale à l’enfance s’est rendue au lycée le jour même. Fouad avait 17 ans et était placée en foyer d’accueil. Interrogé, le département du Nord a confirmé, auprès de Mediapart, que l’adolescente était prise en charge par les services de l’ASE mais a refusé de communiquer tout autre élément. 
La jeune femme profite de l’incident pour prévenir ses camarades de classe qu’elle n’est pas un homme. Un simple message vocal envoyé sur le groupe Snapchat de la classe, que nous avons pu écouter. « On comprenait, on l’a tous soutenue », s’accordent à dire trois de ses amies proches, Zya, Louise et Anouk. Réunies devant le lycée, les trois jeunes filles ne se lâchent pas et répondent aux journalistes, d’une même voix, que l’urgence est à la protection des jeunes trans. Elles en veulent à l’administration, qui continuait à lui accoler des pronoms masculins, malgré ses demandes. Pourtant, elles ont rapidement tu la colère. « On ne veut pas de vengeance, on veut que ça s’arrête », annonce Anouk, 17 ans.
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« Il n’y a pas que la jupe, la CPE et le lycée. Quand on est trans, c’est tout un système contre lequel on doit se battre », répète Annabelle devant ses copines et d’innombrables journalistes. 
Mercredi 2 décembre 2020, Fouad est arrivée au collège habillée tout de jeans. Un pull carrelé noir et blanc, une veste en jeans, une jupe en jeans jusqu’aux genoux, des collants noirs, de larges créoles argentées, les cheveux légèrement bouclés et plaqués en arrière. Une tenue qui ne semble pas convenir à la CPE du lycée. À 10 h 45, la jeune femme envoie un message à son ami Annabelle. « J’ai été virée de cours parce que je suis venue en cours en jupe. »
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Le lendemain après l’incident de la jupe, la jeune fille retourne en cours, à 10 heures. Plusieurs de ses amis affirment que le proviseur lui-même aurait appelé le foyer de Fouad pour prévenir la jeune fille qu’elle pouvait désormais venir en jupe. Alors qu’elle reprend normalement les cours, plusieurs de ses amis collent des affiches sur les murs du lycée. « La transphobie tue », « Respectez les pronoms des personnes transgenres », « Nos tenues ne sont pas indécentes, c’est vos regards qui le sont ». Elles seront retirées quelques minutes plus tard. Les lycéens se demandent encore qui ces affiches, proprement collées, dérangeaient. Certains d’entre eux, filles et garçons, viennent en jupe par soutien.
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dimanche 13 décembre 2020, Fouad fait une première tentative de suicide, elle se retrouve à l’hôpital. (...) Mercredi 16 décembre, elle met fin à ses jours. La plupart de ses amis l’ont appris dans un courriel froid envoyé par l’administration, où il était fait référence à Fouad comme à un jeune homme. (...)

« Valérie Cabuil, rectrice de l’académie de Lille, a appris avec beaucoup de tristesse qu’un élève de terminale du lycée Fénelon de Lille a mis fin à ses jours au sein de son foyer d’accueil mercredi. Cet évènement dramatique bouleverse l’ensemble de la communauté éducative », écrit le rectorat. « Une cellule d’écoute psychologique a aussitôt été déployée » pour les élèves et le personnel, poursuit le communiqué, précisant que des « conseillers vie scolaire » se rendront vendredi dans l’établissement. « La cellule psychologique, il aurait fallu plutôt la proposer à Fouad quand elle allait mal », s’agacent Anouk, Zya et Louise.
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Le lycée Fénelon « a été informé du cheminement de l’élève et de sa volonté de changer d’identité sexuelle. L’élève, qui se trouvait dans un contexte personnel complexe, était accompagné dans sa démarche par l’équipe éducative de son foyer et de son établissement scolaire », assure la rectrice. Valérie Cabuil a indiqué qu’une enquête serait menée et reconnaît les efforts à fournir pour accompagner les élèves transgenres, rapporte le site Lille Actu. Outre l’enquête judiciaire sur le suicide de l’adolescente, le rectorat indique ouvrir une enquête en interne au lycée, comme le veut la procédure habituelle.

La rectrice a aussi regretté d’avoir « mégenré » l’adolescente dans son communiqué. « Cela fait partie des choses que nous devons apprendre. On n’est pas toujours parfait sur ces sujets-là. » Ce communiqué du rectorat, qui la genre au masculin, est « symptomatique d’une maltraitance institutionnelle », selon Arnaud Alessandrin, sociologue du genre à l’université de Bordeaux et auteur de la Sociologie des transidentités (Le Cavalier Bleu Éditions). « Ils auraient pu appeler quelqu’un de compétent comme le référent discriminations ou égalité hommes-femmes du rectorat pour rédiger ce communiqué. »
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Pour le sociologue Arnaud Alessandrin, « une maltraitance institutionnelle »

Le sociologue Arnaud Alessandrin n’est pas surpris par ce suicide. Il explique que les chiffres montrent des taux de déscolarisation important chez les jeunes transgenres ainsi que du harcèlement et cyberharcèlement. Les mineurs trans qu’il a interrogés témoignent aussi de violences intrafamiliales et de rejets. Ils sont aussi nombreux à souffrir de troubles du comportement alimentaire ou à s’auto-médicamenter en prenant par exemple des hormones sur Internet. « Il faut toujours un cas paroxystique pour que l’indignation se soulève. » (...)

« En France, la recherche travaille depuis six ou sept ans sur cette question trans. Cela signifie qu’on a un ministère déconnecté de ce que produit la recherche, et déconnecté des personnes elles-mêmes. »

Il faut attendre 2018 pour qu’une circulaire mentionne la transphobie. 

En 2019, pour la première fois, le terme apparaît dans une campagne de sensibilisation à l’école.
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Marlène, étudiante transgenre à l’université de Lille. Elle aussi a intégré la peur. Pire, elle ne sort jamais sans sa gazeuse. Elle raconte le ballet d’insultes quotidiennes, chuchotées, susurrées, parfois hurlées dans les rues. Mais aussi, le cauchemar administratif pour changer officiellement de prénom, les remarques anodines à la fac, au travail, dans le métro. Et puis, invariablement, les agressions psychologiques, verbales, physiques. « Je me rappelle cette fois où un homme m’a insultée, suivie dans les rues de Paris et a tenté de me frapper. On me traite de sale travelo, j’ai envie de leur répondre : Oui, et ? » Comme Ulysse, Marlène est aussi traversée d’idées suicidaires parfois. Pour s’en sortir, la jeune femme milite à Solidaires Étudiant-e-s. « Politiser ce qui m’arrive, c’est ma manière de m’en sortir. Je me dis, là, que je ne suis pas toute seule, que ce n’est pas de ma faute et qu’on peut changer les choses. » (...)

L’autre problème demeure le manque d’accompagnement des personnels de l’Éducation nationale, en formation initiale et continue. (...)

« Cet événement dit deux choses : la suspicion qu’ont les jeunes vis-à-vis de l’institution est légitime. Et malheureusement, ce suicide reproduit l’imaginaire dramatique de la transition. Ce qui est un bon signal en revanche, il y a de l’indignation, la question trans est rentrée aujourd’hui dans les préoccupations citoyennes. Il y a moins de dix ans quand une personne transgenre mourait, on n’en parlait pas. » (...)

En octobre 2019, Jean-Michel Blanquer avait annoncé la mise en place d’un groupe de travail devant construire des outils pour aider les équipes pédagogiques à accueillir les élèves trans dans les établissements scolaires. Depuis, ce groupe n’a jamais été réuni. « Nous avons pourtant relancé le ministère à plusieurs reprises sans obtenir de réponse de sa part », regrette Alexis Guitton. 

En septembre, le suicide de Doona, étudiante trans, avait ému, rappelle Alexis Guitton. Le rapport 2020 de SOS Homophobie montre que 42 % des actes de transphobie visent des femmes trans. (...)