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À Mayotte, les autorités falsifient volontairement l’âge de mineurs isolés pour les expulser
Article mis en ligne le 16 juillet 2020

Idriss (1) se marre en commentant les papiers remis à sa petite soeur Zaïna (1) par la préfecture. « Elle ne peut pas être née en 2000, sinon on serait jumeaux ! » Au loin, dans le combiné du téléphone, la petite voix de l’adolescente raconte, en shindzuani, le dialecte d’Anjouan au Comores, son arrestation en mer. Le 24 juin, le kwassa-kwassa à bord duquel elle se trouve avec une dizaine de personnes est intercepté par la gendarmerie, au large de Mayotte. Zaïna est accompagnée de son frère et de ses trois soeurs. Elle, l’aînée, a quatorze ans, la plus jeune, six.

« J’ai dit que j’étais mineure, on m’a répondu : “Je ne te crois pas, toi tu fais plus grande que ça”. » La gendarmerie ne contacte ni le père, ni l’aide sociale à l’enfance.

Quelques heures plus tard, elle reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Si plus personne n’est renvoyé aux Comores depuis mars en raison de la crise sanitaire, les autorités continuent d’en émettre pour les étrangers en situation irrégulière. Et elles n’épargnent pas les cinq petits. (...)

Autrement dit, Zaïna est désormais considérée comme majeure et récupère la charge des autres enfants pour permettre une expulsion. Et ce n’est pas un cas isolé : StreetPress a pu consulter une dizaine de procédures maquillées. Dans certains cas, l’âge d’adolescents a été volontairement falsifié par les forces de l’ordre. Dans d’autres, des documents prouvant la minorité ont été ignorés. (...)

Plus tard, la fratrie de Zaïna est transférée au centre de rétention administrative (CRA), l’antichambre par laquelle passent ceux qui sont renvoyés. Réservé aux adultes et aux familles, le CRA se situe aussi sur Petite-Terre. La loi française interdit à la fois le renvoi et le placement de mineurs isolés dans les CRA. Les autorités lui font signer des papiers, « je n’ai pas eu le temps de les lire, ils m’ont pressé et de toute façon je ne lis pas bien », raconte la jeune fille. La famille reste au centre dans des conditions pénibles. « On ne s’est pas changé pendant trois jours. On avait des habits plein d’eau de mer. J’ai demandé plusieurs fois à avoir accès au sac avec nos affaires, mais les policiers ont refusé », se souvient Zaïna. Dans le sac se trouve aussi une carte d’étudiante comorienne sur laquelle est écrit qu’elle est née en 2005. Elle n’y a pas accès, elle ne pourra la montrer ni aux gendarmes, ni aux agents de la police aux frontières (PAF).

Un tour de passe-passe administratif

Une OQTF ne peut normalement pas être délivrée à un mineur isolé, comme c’est le cas de Zaïna. Pour exercer ce tour de passe-passe administratif, la gendarmerie la fait grandir de presque six ans. (...)

Plus tard, la fratrie de Zaïna est transférée au centre de rétention administrative (CRA), l’antichambre par laquelle passent ceux qui sont renvoyés. Réservé aux adultes et aux familles, le CRA se situe aussi sur Petite-Terre. La loi française interdit à la fois le renvoi et le placement de mineurs isolés dans les CRA. Les autorités lui font signer des papiers, « je n’ai pas eu le temps de les lire, ils m’ont pressé et de toute façon je ne lis pas bien », raconte la jeune fille. La famille reste au centre dans des conditions pénibles. « On ne s’est pas changé pendant trois jours. On avait des habits plein d’eau de mer. J’ai demandé plusieurs fois à avoir accès au sac avec nos affaires, mais les policiers ont refusé », se souvient Zaïna. Dans le sac se trouve aussi une carte d’étudiante comorienne sur laquelle est écrit qu’elle est née en 2005. Elle n’y a pas accès, elle ne pourra la montrer ni aux gendarmes, ni aux agents de la police aux frontières (PAF).
Un tour de passe-passe administratif

Une OQTF ne peut normalement pas être délivrée à un mineur isolé, comme c’est le cas de Zaïna. Pour exercer ce tour de passe-passe administratif, la gendarmerie la fait grandir de presque six ans. (...)

Zaïna n’a donc plus quatorze mais vingt ans. « Au moment où elle s’est présentée, elle a évoqué le fait d’être majeure et responsable des quatre enfants qui l’accompagnent », balaie Julien Kerdoncuf, sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine, en poste sur l’île depuis mai 2018. Une affirmation que Zaïna dément. Alerté par des connaissances, son père s’est présenté plusieurs fois devant le CRA pour essayer de prouver la minorité de sa fille. La police lui barre la route. « C’était dur, à chaque fois les policiers me chassaient », raconte celui qui a fui les Comores quelques mois plus tôt, menacé par le régime en place. (...)

La minorité de l’adolescente est établie trois jours plus tard, non par les forces de l’ordre ou la préfecture, mais par la Croix-Rouge. Le sous-préfet détaille, « elle a été testée positive au Covid et conduite de son plein gré au centre de Tsararano (village où se situe le centre dédié aux malades du Covid 19, ndlr). C’est une fois là-bas que la Croix-Rouge a appris, en discutant avec elle, que finalement elle était mineure. Dès qu’on l’a su, elle a été prise en charge par l’aide sociale à l’enfance ».

Julien Kerdoncuf vante l’efficacité d‘« un système à quatre verrous de vérification : la connaissance du terrain par les agents, la vérification des dossiers par la préfecture, les associations au sein du CRA et le juge de la détention et des libertés, ou du tribunal administratif. » Pourtant, Marjane Ghaem, avocate ayant exercé au barreau de Mamoudzou pendant huit ans affirme avoir souvent « eu à traiter d’affaires de mineurs placés en rétention avec un âge majoré. » C’est, selon elle, « une pratique courante et connue à Mayotte », mais difficile à quantifier (...)

L’avocate a saisi le défenseur des droits il y a un an. Elle lui a envoyé sept dossiers de mineurs dont l’âge a été majoré en 2019 :

« Ce qui est choquant, c’est l’apparence de minorité. Parmi les sept cas, on retrouve des jeunes de 14 ans dont la voix n’a parfois même pas muée. L’un d’entre eux avait encore le duvet qu’ont les garçons en classe de 4ème. »
(...)
Julien Kerdoncuf admet qu’il « peut y avoir des erreurs quand on fait 30.000 interpellations et qu’on éloigne plus de 27.000 personnes en 2019 », soit plus que l’ensemble des renvois en métropole la même année. Mais le sous-préfet sait le sujet sensible. La France vient d’être condamnée par la CEDH pour avoir renvoyé des enfants depuis Mayotte en les rattachant à un adulte qu’ils ne connaissaient pas. Pour lui, il s’agirait d’une poignée de cas isolés. Car dit-il, l’objectif est « de mettre en place un dispositif qui monte en puissance sur les interpellations et les éloignements. Pour cela, il doit être irréprochable ! »

Pour « éviter les erreurs et les mauvaises compréhensions », la préfecture a demandé un élargissement de la plage horaire laissée aux associations, avance Julien Kerdoncuf. Ces dernières sont notamment chargées d’accompagner ceux qui souhaitent contester auprès du tribunal administratif les décisions d’éloignement. La préfecture devrait également bientôt mettre en place un système de contrôle biométrique basé sur les empreintes digitales. En attendant, les OQTF continuent de tomber à Mayotte. Et les expulsions reprennent. Samedi 4 juillet, pour la première fois depuis mars, l’État français a renvoyé à Antananarivo 32 personnes arrivées de Madagascar dans le 101ème département français.