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Mediapart
A Montpellier, le procureur requiert lourdement contre « le commando » de la fac de droit
Article mis en ligne le 23 mai 2021
dernière modification le 22 mai 2021

Au terme de deux jours de procès, le procureur a requis des peines allant jusqu’à un an de prison contre les sept prévenus, dont l’ex-doyen et un professeur de droit de la fac de Montpellier. En 2017, ils avaient mené un commando d’extrême droite pour évacuer les étudiants grévistes d’un amphithéâtre.

Face au tribunal, l’ancien professeur s’exprime posément. Vêtu d’un costume sombre, les mains croisées devant lui, droit comme un i, il se décrit comme un amateur de poésie médiévale et manie la langue française avec soin. « Votre grammaire est parfaite. Votre langage est châtié. Mais votre coup de poing n’est pas neutre ! », lui lance le procureur.

Outre la peine de prison, il demande à son encontre – et à celle de l’ex doyen – l’interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant cinq ans. Ils sont déjà tous deux sous le coup d’une sanction administrative : interdiction d’enseigner pendant cinq ans pour le doyen et radiation à vie pour Jean-Luc Coronel.

« Une barrière morale aurait dû se lever [en vous], les tance le procureur. Elle ne s’est pas levée car c’est la passion qui prend place à la raison. » (...)

« Qui êtes-vous pour défoncer la tête de gens à coups de palettes ? »

Aux autres prévenus, recrutés par Patricia Margand, Fabrice Belargent demande : « Qui êtes-vous pour défoncer la tête de gens à coups de palettes ? »

Eux, il les appelle « les suiveurs ». Il les décrit comme « des pieds nickelés plutôt qu’un commando structuré, et pointe « leur plus petit dénominateur commun : une certaine détestation de l’extrême gauche ».

Ils sont quatre. Deux Sétois : un jouteur de 26 ans se définissant comme « d’extrême droite » et un ancien soudeur de 64 ans, sympathisant du groupuscule identitaire de la Ligue du Midi. Il a travaillé chez AZF et est aujourd’hui sans emploi. Les deux autres sont un militaire à la retraite « patriote » et Martial Roudier, fils du fondateur de la Ligue du Midi.

C’est contre ce dernier que la peine la plus lourde est requise par le procureur : un an de prison ferme. Il est aussi le seul qui nie tout en bloc : sa présence à l’intérieur de la fac ce soir-là et le statut de « meneur, de chef » que lui attribue le procureur. (...)

Les trois autres membres actifs du commando reconnaissent en revanche leur implication. À leur encontre, le procureur requiert un an de prison, dont quatre mois fermes (avec éventuellement le port d’un bracelet électronique). (...)

Face au tribunal, Mathieu Rolouis, le plus jeune, assure avoir voulu « rendre service ». À qui ? Il ne le dira pas. À propos de sa présence à la fac de droit ce soir-là, il se contente de répondre : « Je trouvais que la situation à la fac de droit n’était pas normale. »

Il refuse de nommer ou d’impliquer quiconque. « Je reconnais ce que j’ai fait mais je ne mets personne en cause. » Identifiable sur ce cliché et sur les vidéos, il portait une cagoule et a asséné des coups très violents, y compris dans le dos. « Au départ, c’était pour faire peur, pas faire mal, indique-t-il. Puis : « Je visais l’abdomen, là où ça fait le moins mal. »

Dans son téléphone, les enquêteurs ont trouvé des photos d’un casque avec les insignes de la Wehrmacht. (...)

Faire justice soi-même, agir, puisque la police ne le fera pas, s’en prendre vertement au préfet qui a refusé l’intervention des forces de l’ordre : c’est l’argumentaire développé par la plupart des prévenus. Ils l’affirment : les étudiants bloqueurs étaient inquiétants, menaçants, violents, dangereux.

Pour Thierry Puech, identifié comme « l’homme au bonnet rouge » armé d’un taser, il s’agissait de « défendre la fac contre les gauchos ». Son comparse Thierry Vincent, colonel à la retraite, se décrit même comme appartenant « au camp du bien face aux méchants ».

Son témoignage a particulièrement saisi l’auditoire. « Dans un pays normal, on nous aurait félicités », assène-t-il. Pour l’ancien militaire, signataire de la pétition dans Valeurs actuelles, le procès qui est fait aujourd’hui « n’est pas normal ». Il conclut : « Je pense qu’on va vivre des temps intéressants dans les tribunaux... » Une phrase lourde de sous-entendus qui a plongé l’auditoire dans un bref silence. De sidération pour les uns, de satisfaction pour d’autres.

« Vous ne pouvez pas vous arroger ce droit d’occasionner des violences à autrui car vous estimez être du côté des bons, tempêtera plus tard le procureur dans son réquisitoire. Vous n’aviez aucune qualité pour apprécier pourquoi le préfet a pris cette décision ! Quelle est cette idée de faire justice soi-même car l’État ne le fait pas ? »

Et de rappeler que les blessures subies par les victimes ne sont pas « des coups de pieds dans les fesses mais des coups à la tête. Des coups de taser. Ce sont des jeunes femmes et hommes de 18 ou 20 ans qui ne vous attaquaient pas. Qui dormaient à moitié et qui sont sortis à grands coups de latte ! » (...)

Les victimes, justement, ne sont pas là. Les huit étudiants constitués parties civiles se sont désistés dès le début du procès. La surprise était totale. Selon leur avocat, Me Demersseman, ils entendaient ainsi dénoncer « une accusation partiale et incomplète » et de nombreuses « failles » dans l’instruction. Auditions tardives et incomplètes des victimes, accès tardif au dossier et volonté, manifeste selon lui, de ne pas rechercher tous les membres du commando armé.

À l’issue de ces deux journées « d’une affaire éminemment politique », aux dires du procureur, le rôle des uns et des autres a fini par mieux se dessiner. Aucun des prévenus, aux profils si singuliers et variés, n’a souhaité reprendre la parole avant la clôture définitive du procès.

Le jugement a été mis en délibéré au 2 juillet 2021.