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Mediapart
À Nice, l’audition cauchemardesque d’une jeune plaignante pour viol
Article mis en ligne le 28 février 2022
dernière modification le 27 février 2022

Lou, 19 ans, est une jeune femme trans. Elle a déposé plainte à Nice, début janvier 2022. Le policier lui a posé de nombreuses questions « d’une violence inouïe » : sur son orientation sexuelle, ses pratiques sexuelles, sa sérologie, et si elle avait joui pendant les faits.

« Ce moment a été d’une violence inouïe. Je regrette d’avoir porté plainte. » (...)

Dans son récit, Lou explique qu’un homme d’une trentaine d’années l’aurait agressée sexuellement dans une laverie. Puis qu’il l’aurait suivie jusqu’à son appartement, serait entré chez elle et l’aurait violée, avant de s’en aller.

Une fois seule, Lou contacte une de ses amies, Diane-Luna, 28 ans. « J’ai reçu un message paniqué de Lou, décrit-elle. Elle n’allait pas bien et ne savait pas quoi faire. Je lui ai conseillé de foncer aux urgences. » En rupture familiale et précaire, Lou est hébergée dans une structure d’accueil d’urgence pour jeunes adultes. Une situation instable et difficile à gérer pour elle. La veille, elle a fait une tentative de suicide. (...)

À l’hôpital de Nice, Lou indique qu’elle envisage de porter plainte. La police se rend sur place. « Alors que ça se passait bien avec les soignants et les soignantes, les policiers arrivent et commencent à me mégenrer », raconte la jeune femme. Le mégenrage est une pratique discriminante qui consiste à ne pas utiliser le bon genre lorsqu’on s’adresse à une personne trans.

D’après Lou, les agents restent jusqu’à la fin des examens médicaux puis l’accompagnent chez elle pour faire les prélèvements nécessaires. Le lendemain, après que la police a procédé à des prélèvements au domicile de Lou, la jeune femme est appelée par le commissariat pour venir déposer plainte. « Je me suis retrouvée seule avec un policier qui m’a mégenrée tout le long de la procédure. »

Lou lui décrit cette nuit du 7 janvier. Son récit, tel qu’il est retranscrit sur procès-verbal, est émaillé de plusieurs contradictions. Mais sans se prononcer sur les faits eux-mêmes, les questions qui lui sont posées ont scandalisé la jeune femme. (...)

« À chaque nouvelle question, j’étais un peu plus horrifiée, raconte Lou à Mediapart. Je ne savais pas quoi répondre. Forcément parce que je suis une femme trans, que j’ai pas beaucoup de revenus, je suis escorte [aux yeux du policier – ndlr]. C’est OK, d’être escorte, mais le fait est que j’ai été violée par un inconnu, et que je voulais juste porter plainte. »

Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess-T, affirme que porter plainte reste une épreuve pour toutes les victimes de violences sexuelles et encore plus pour les femmes trans. « Sans formation, certains policiers se servent des dépôts de plainte pour satisfaire une curiosité malsaine sur les personnes trans, se désole-t-elle. Par exemple, dans une plainte pour viol, à quoi sert la question “Avez-vous déjà couché avec une femme ?”. Sans formation, les policiers sont renvoyés à leurs idées reçues. » (...)

Contactée, la préfecture de police de Nice a renvoyé Mediapart vers le Service d’information et de communication de la police nationale (Sicop), qui a répondu par mail. Lou est une nouvelle fois mégenrée dans la réponse. Le service de communication ajoute ne pas vouloir réagir à une enquête en cours et explique que « l’accueil des victimes, en particulier pour des faits traumatisants, est une priorité pour la police nationale ». (...)

L’association de policiers LGBTQI+, Flag, dit, quant à elle, regretter la manière dont les questions ont été posées. (...)

La manière dont les plaintes pour violences sexuelles sont prises dans les commissariats est souvent dénoncée par les victimes. Derrière le mot-clic #DoublePeine, elles étaient plusieurs centaines à le raconter sur Twitter. Un site avait alors été lancé pour recueillir les différents propos des victimes. Cette semaine, Mediapart a aussi publié une enquête sur un policier qui traitait de « grosse pute » une femme venue porter plainte pour des faits de violences sexuelles.

Quant à Lou, elle dit réfléchir à une éventuelle suite judiciaire à donner contre l’officier qui a pris sa plainte. « La façon dont ça s’est passé, c’est un peu comme s’il me crachait à la bouche. C’est une nouvelle violence. »