
Au printemps 1945, après une bataille qui fit 200 000 morts, les États-Unis prenaient le contrôle de l’île d’Okinawa, au sud-ouest du Japon. Ils ne l’ont depuis plus quittée, consolidant leur présence militaire à l’ouest du Pacifique en y établissant plusieurs bases, malgré les protestations d’une population désireuse de tourner la page des horreurs de la guerre. Une opposition populaire qui perdure aujourd’hui encore, régulièrement nourrie par les exactions commises sur place par certains soldats de l’Oncle Sam. Reportage.
Le scénario est rôdé, tel un rituel. Les manifestants arrivent entre 8h et 8h15, par grappes, sur cette route isolée du nord de l’île d’Okinawa. Ils disposent deux petits bancs en bois devant les deux camions de police qui bloquent le portail d’entrée au chantier. Les travaux sont destinés à agrandir la base américaine de Camp Schwab, sur la baie d’Henoko. Un homme dépose des caisses en plastique, remplies de pancartes soigneusement rangées - recto en japonais, verso en anglais. Chacun vient ensuite se servir, piochant un slogan : « Dehors les Marines », « Ne soyez pas des soldats de l’État, » « Nous voulons seulement vivre en paix », ou encore « Pas d’Osprey », du nom de ces appareils de transport mi-avion mi-hélicoptère, avec lesquels les soldats américains survolent Okinawa, comme autant de rappels de leur présence.
Selon le commandement Pacifique des États-Unis, près de la moitié de ses 54 000 soldats positionnés au Japon se trouvent à Okinawa, de même que 64% des zones administrées par la puissance nord-américaine. (...)
Le gouverneur d’Okinawa a révoqué un temps les travaux d’extension de la base de Camp Schwab, qui visent en réalité à déménager les soldats d’une autre base de la préfecture. Mais la Cour suprême du Japon l’a désavoué.
Alors tous les matins, une poignée d’habitants vient manifester. (...) Les manifestants s’installent plusieurs fois par semaine devant la base américaine Camp Schwab, avec une patience infinie, sur de petits bancs de bois, afin de stopper les camions de chantiers qui arrivent, fort nombreux (...)
« Nous nous sommes promis que pas un élève ne deviendrait soldat » (...)
Depuis 1972, 118 viols commis par des militaires US (...)
Les Marines ont d’autant moins bonne réputation sur l’île qu’ils sont souvent impliqués dans les incidents, voire les crimes, mettant en cause des soldats états-uniens. De 1972 à 2008, selon l’Association des femmes contre la violence militaire qui se fonde sur des rapports de police et la presse, 118 viols ont été commis par des soldats américains à Okinawa. L’enlèvement et le viol en 1995 d’une écolière de 12 ans par trois militaires avait notamment traumatisé la population. En 2015, 34 affaires impliquant 42 suspects ont été recensées en lien avec les forces américaines (soldats, membres de la famille et civils), selon des chiffres de la police.
« Nous souhaitons que nos lois s’appliquent aux Américains également » (...)
Plusieurs accidents impliquant des hélicoptères ont également eu lieu. Les États-Unis ont été jusqu’à présenter des excuses au mois de janvier. Le travail illégal sur les bases, ou la pollution de la mer font également partie des griefs. Même si l’économie de cette île qui compte parmi les plus pauvres du Japon avec un taux de chômage largement au-dessus de la moyenne nationale se trouve de facto liée à la présence des bases militaires, instruments stratégiques de la présence états-unienne dans l’est asiatique.
« Plus préoccupés par la présence américaine que par la Corée du Nord » (...)
A 9h10, les dizaines de camions qui étaient restés bloqués peuvent passer. Les travaux d’agrandissement de la base américaine de Camp Schwab peuvent commencer. Deux ou trois manifestants tentent d’écarter du bras les policiers qui protègent le défilé motorisé. En vain. Trente minutes plus tard, pourtant, nouveau coup de théâtre, nouveau scénario rôdé : les travaux s’interrompent. Un jeune contestataire kayakiste a fait le tour par la mer et pénétré dans les eaux du camp.