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La vie des idées/Dossier : Trump contre les Nations unies
Fauteuil vide à Genève
#ONU #USA #Trump #OMS #CDH
Article mis en ligne le 11 juin 2025
dernière modification le 10 juin 2025

Que reste-t-il du multilatéralisme si l’un des principaux architectes décide de s’en aller ? L’annonce par les États-Unis de leur retrait de l’OMS et du CDH révèle les fractures de la gouvernance mondiale et fragilise l’avenir des organisations internationales.

Le 20 janvier 2025, quelques heures à peine après son investiture en tant que Président des États-Unis, pour son deuxième mandat, Donald Trump signait un décret présidentiel (executive order) ordonnant le retrait des États-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Quelques jours plus tard, le 4 février 2025, un autre décret annonçait que les États-Unis ne participeraient plus au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (CDH). Les États-Unis sont coutumiers des critiques virulentes à l’encontre des instances multilatérales, et se sont déjà retirés ou ont suspendu leur participation auprès de plusieurs Organisations internationales. La première Administration Trump avait déjà engagé le retrait des États-Unis du CDH en 2018 et de l’OMS en 2020, avant que l’élection de Joe Biden vienne marquer un réengagement explicite auprès de ces deux organisations en 2021.

Les retraits étasuniens de ces deux institutions en 2025, s’ils ne sont pas surprenants, interviennent toutefois dans un contexte de sabordage massif et systématique par l’Administration Trump du multilatéralisme tel qu’il s’est construit après la Seconde Guerre mondiale et des institutions nationales étatsuniennes.

Dans ces circonstances, quelles sont les conséquences du retrait des États-Unis sur l’OMS et le CDH ? Que veut dire en pratique se retirer d’une OI, et comment cela varie-t-il selon le type d’OI ? Quelles sont les marges de manœuvre et possibilité d’adaptation de ces OI ? (...)

L’OMS, créée en 1948, est l’agence des Nations Unies chargée d’être l’autorité directrice et coordinatrice en matière de santé internationale. (...)

Elle intervient dans de très nombreux domaines : surveillance des maladies infectieuses, coordination de la réponse internationale en cas d’épidémie, lutte contre le tabac, contre le paludisme, (...)

Elle peut également jouer un rôle d’assistance technique par l’intermédiaire de ses bureaux-pays pour les gouvernements qui le souhaitent, Les États-Unis étaient jusqu’en 2025 un acteur central au sein de l’OMS, de par leur puissance économique et financière, leurs capacités d’expertise scientifique (par exemple ils hébergent environ 10% des centres collaborateurs de l’OMS, localisés notamment au sein d’universités, d’instituts de recherche), et leur force diplomatique. (...)

Le CDH, créé en 2006 par l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), remplace la Commission des droits de l’homme des Nations unies établie en 1946 par le Conseil économique et social (ECOSOC).

des acteurs dénoncent régulièrement le fait que le Conseil des droits de l’homme serait prompt à ne guère discuter les situations de violations de droits humains dans des Etats puissants. [3] Lorsqu’ils s’y engagent, les États-Unis représentent un acteur influent au CDH, du fait de leurs contributions volontaires au budget du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) qui les placent dans les tout premiers rangs, et de leur capacité diplomatique qui favorise la (ré)affirmation des droits humains particulièrement civils et politiques. (...)

Les États-Unis ont adhéré à l’OMS par une résolution conjointe du Congrès, et leur retrait pourrait devoir être approuvé de la même manière et non unilatéralement par le seul président – à l’heure actuelle les Républicains contrôlant les deux chambres du Congrès, cela pourrait ne pas poser problème. Cette résolution d’adhésion stipule également que les États-Unis, avant que le retrait ne soit officiel, doivent donner un préavis d’un an et s’acquitter de leurs obligations financières en cours (ce qu’ils n’ont pas fait au 28 avril 2025). Mais en pratique, la fin de la relation est déjà enclenchée (...)

La portée de la non-participation des États-Unis au CDH n’est pas strictement identique. En effet, il s’agit moins d’un retrait institutionnel, juridiquement sanctionné, que d’un « retrait d’intention », une déclaration d’une non-participation au CDH qui envoie le signal politique et financier d’une volonté de ne pas coopérer. En effet, les États-Unis, en 2025, n’étaient pas un membre élu au CDH. Ils étaient, comme tous les autres États membres des Nations unies membres observateurs au CDH. (...)

Dans les deux cas, ces deux executive orders envoient un même message politique. La rapidité de l’annonce du retrait étasunien de l’OMS et de la non-participation au CDH est symbolique : faire table rase des décisions de l’Administration Biden, rappeler les fondamentaux du trumpisme et réaffirmer ses décisions de désengagements de 2018 et de 2020 vis-à-vis du CDH et de l’OMS.

Des critiques récurrentes dans un contexte inédit (...)

les critiques de 2020 entrent en cohérence avec la vision trumpienne des relations internationales, fondée sur l’approche transactionnelle, le rapport de force, et le rejet du multilatéralisme.

La relation des États-Unis au CDH est tout aussi ambivalente et complexe. Elle est largement dépendante des alternances politiques (...)

D’une part, le contexte international est marqué par le désengagement de tout un ensemble d’acteurs du multilatéralisme (notamment de la part de gouvernements populistes et illibéraux). D’autre part, l’administration Trump saborde les déterminants nationaux de la coopération multilatérale en remettant en cause l’état de droit et la science et en détruisant les institutions étatiques. Ainsi, dans le domaine de la santé, le Secrétaire d’État à la Santé, Robert F. Kennedy, est connu pour son scepticisme vaccinal ; ordre a été donné de supprimer des sites web des CDC certaines données médicales sur la grippe aviaire [8] (une épidémie est en cours aux États-Unis, qui est surveillée notamment par l’OMS) ; des coupes budgétaires et des licenciements massifs touchent les instances de santé publique et de recherche médicale (les CDC, le NIH (National Institutes of Health), la FDA (Food and Drug Agency)). Dans le domaine des droits de l’homme, l’Administration Trump se caractérise par le non-respect de l’institution judiciaire, pierre angulaire de la défense des droits humains, l’expulsion de migrants illégaux bafouant leurs droits, les attaques systématiques contre les politiques de « diversité, équité, inclusion », l’affaiblissement d’organisations à l’instar du State Department où la diminution drastique des personnels chargés des droits humains est enclenchée [9]. Enfin, la suspension de l’aide étasunienne au développement et le démantèlement de l’agence qui en était chargée, l’USAID, entraînent la fin de programmes sanitaires et de soutien au respect des droits de l’homme financés par ce biais, une perte d’expertise globale, et une désorganisation des chaînes de coopération. Ainsi, au-delà des seuls retraits étasuniens de l’OMS et du CDH, c’est la santé mondiale et la promotion des droits humains en général qui se trouvent affaiblies.

Malgré des réactions immédiates des représentants de l’OMS et du CDH qui ont notamment visé à ne pas fermer la porte à la poursuite d’une coopération avec les États-Unis, on peut évoquer plusieurs conséquences à court et à long terme déjà avérées ou possibles du désengagement étasunien pour l’OMS et le CDH. (...)

Deuxièmement, le désengagement étasunien a également des conséquences sur le rôle normatif de l’OMS et du CDH. Celui de l’OMS est fondé sur l’expertise scientifique que l’OMS externalise en s’appuyant sur les ressources de ses États membres. Elle souffre du retrait des États-Unis, qui en était un fournisseur important du fait de leur puissance académique et scientifique. Au-delà de la rupture des communications avec l’OMS, les attaques de l’Administration Trump contre la science et contre les universités et institutions de recherche américaines interrogent quant à une possible perte permanente d’expertise scientifique aux États-Unis, et, par ricochet, dans le reste du monde. L’OMS sert aussi à assurer la mise en commun de données scientifiques, afin que le monde entier en bénéficie. Ce partage constant d’informations est par exemple crucial en matière de prévention et de lutte contre les épidémies.

Au CDH, la remise en cause de principes comme le pluralisme politique, les discussions de plus en plus clivées sur les droits des femmes, la sensibilité de la thématique de la liberté d’association, les signes de fermeture à la participation de la société civile aux travaux du CDH constituent autant d’exemples d’une contestation au CDH [13]. (...)

Enfin, avec le désengagement des États-Unis, c’est aussi l’universalité des institutions internationales qui se trouve affaiblie. Le président argentin, Javier Milei, suivant l’exemple de Donald Trump, a annoncé le retrait de l’Argentine de l’OMS. La Russie et la Hongrie ont menacé de le faire. Au CDH, le gouvernement de Netanyahou a indiqué se retirer du CDH (duquel Israël n’était pas membre). Le Nicaragua a également procédé à une communication similaire fin février. Or, la coopération multilatérale, notamment en matière de santé où les interdépendances sont extrêmement fortes (“no-one is safe until everyone is safe”) et en matière de droits humains où le rôle de modèle et les effets d’entraînements sont cruciaux, a une plus forte valeur ajoutée quand elle est universelle. (...)

La capacité de l’OMS et du CDH à établir des mécanismes et recommandations applicables par tous les États membres est également questionnée. (...)

Les éventuelles désaffections étasuniennes participent à la délégitimation de ces procédures et mécanismes et renforcent le rejet de la coopération internationale.

Elles nuisent également aux processus de diffusion informelle des normes. En effet, même si les États restent souverains dans l’application de celles-ci, la participation de tous les acteurs à la négociation d’une norme entraîne des mécanismes de diffusion, d’apprentissage, qui font qu’elle peut avoir un effet même si un gouvernement décide de ne pas l’appliquer officiellement. (...)

La défection d’un membre aussi important historiquement que les États-Unis a le potentiel de réduire l’intérêt des autres pays à être des membres actifs de ces institutions internationales, que ce soit en se retirant ou simplement en étant passif, en n’investissant plus (financièrement, politiquement) ces organisations.

Conclusion

Pour l’instant, l’incertitude est très grande sur ce qu’il ressortira de cette « disruption majeure » de l’ordre coopératif mondial et des retraits étasuniens de l’OMS et du CDH, car cela dépendra aussi du réinvestissement futur (ou non) des États-Unis dans la santé mondiale et les droits humains, de la manière dont les autres États vont investir (ou non) l’OMS et le CDH, de la façon dont les institutions étasuniennes (scientifiques, judiciaires notamment), se maintiendront (ou non).

Différents modèles de coopération future sont également possibles, comme la création d’alliances bilatérales ou minilatérales, de clubs, de coalitions ad hoc, ou de nouvelles coordinations régionales. Ainsi, pour l’instant au moins, les États-Unis restent parties prenantes du système interaméricain des droits de l’homme et membres de l’Organisation Panaméricaine de la Santé (PAHO) qui joue aussi le rôle de bureau régional de l’OMS pour la région des Amériques (AMRO). Des canaux formels et informels de coopération pourraient ainsi tout de même se développer avec l’OMS et le CDH, même si rien de tout cela n’est équivalent à une participation institutionnalisée à ces institutions. Toutefois, les OI disposent de capacités de résilience. (...)