
Voilà six ans que Saillans, village drômois, expérimente les joies — et les frustrations — de la démocratie participative. Électricité verte, épiceries bio, urbanisme réduit, compost collectif... Ce mode de décision citoyen a permis de mettre l’écologie au centre des préoccupations.
Depuis la dernière visite de Reporterre en automne 2015, le village de Saillans n’a rien perdu de son caractère, à la fois rebelle et enchanteur. Lovée au creux de la vallée où coule la Drôme, sous l’ombre imposante du massif des Trois Becs, la commune expérimente depuis maintenant six ans une forme de démocratie directe où les habitants se réapproprient ensemble la politique locale. « Cette aventure participative » s’est vite retrouvée sous les feux des projecteurs, observée et scrutée comme une souris de laboratoire. Le petit bourg de 1.300 âmes incarnait, à l’échelle de la France, une lueur d’espoir et une alternative concrète face aux dérives de la représentation politique.
« Cette hypermédiatisation a peut-être mis la barre un peu trop haute », commente avec le recul Vincent Beillard. Le « maire citoyen » du village nous accueille chez lui dans une petite maison à l’orée du centre. « Nous avons moins vécu une révolution qu’un changement d’état d’esprit. On a essayé une nouvelle méthode de gouvernance », convient-il. Sans cravate ni chemise, cet éducateur spécialisé à l’allure décontractée arbore un pull où il est écrit « voyage, voyage ». Une manière d’illustrer « le chemin parcouru et celui qui reste à faire », dit-il.
À l’approche des élections municipales, Reporterre s’est réinstallé un temps au cœur du bourg pour dresser le bilan de cette mandature originale. Quel rôle a pu jouer la démocratie participative dans la transition écologique du territoire ? Ce mode de prise de décision a-t-il été efficace pour faire face à l’urgence climatique ? (...)
Une fois élue, la liste a mis en place un nouveau fonctionnement. Les conseillers municipaux travaillent en binôme. Les citoyens s’inscrivent à des « groupes actions projets » (GAP) reliés à sept commissions élaborées lors de la campagne. Ils interviennent aussi en comité de pilotage, une sorte de conseil municipal où sont discutées collectivement les décisions à prendre. Un « observatoire de la participation » rassemble douze citoyens volontaires qui veillent au respect de la charte des valeurs.
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Saillans bénéficie d’un climat de résistance qui irrigue toute la vallée. Comme le note Maud Dugrand dans son livre, « le mouvement Extinction Rebellion compte près de 200 sympathisants dans les environs ». Plusieurs vagues d’installations depuis les années 1970 ont nourri son côté alternatif. Le territoire est pionnier dans l’agriculture biologique. « Il a toujours existé ici un respect de la terre et du vivant », estime l’autrice.
« On n’invente rien, admet Fernand Karagiannis, un membre de la liste. Les énergies sont déjà là. On agit comme un accélérateur de particules. » En lien avec les habitants, la mairie a installé un compost collectif qui fonctionne désormais de manière autogérée. (...)
Cas rare, le village possède plus de commerces bio que d’épiceries conventionnelles. La cantine de l’école est aussi alimentée à 40 % par des produits bio et locaux. « On cuisine les repas sur place. C’est quand même mieux que Sodexo qui voulait acheminer par camion des plats préparés à 80 kilomètres de chez nous », dit Isabelle Raffner en charge de la commission enfance.
La mairie possède un budget inférieur à 1,5 million d’euros, une somme, mine de rien, assez dérisoire pour mener de grands chantiers. « Nous avons peu de marge de manœuvre, regrette l’élue, de nombreuses compétences sont détenues par l’intercommunalité qui est assez hostile à nos projets — elle est dirigée par Hervé Mariton (LR) — et cela nous a freiné », dit-elle.
Sur les questions relatives à la mobilité, la mairie a certes installé des parkings à l’entrée du village pour éviter les embouteillages, augmenté les zones piétonnes et organisé des achats groupés de vélos électriques mais elle n’a pas pu aller aussi loin qu’elle le souhaitait. (...)
Au niveau agricole, la mairie a récupéré une vingtaine d’hectares de terres sans propriétaire : des coteaux en friche et des parcelles abandonnées. Elle va en réquisitionner une vingtaine de plus. Cette politique d’acquisition foncière est une première étape avant d’installer un agriculteur « mais cette action se mènerait plus facilement à l’échelle intercommunale », relève Fernand Karagiannis. Tout ne peut pas être réglé à notre niveau. » (...)
L’équipe municipale n’aime pas le conflit. Plusieurs habitants engagés lui reprochent cette frilosité. Dernier exemple en date, le débat autour des pesticides. Des membres du mouvement des coquelicots ont demandé à la mairie de prendre un arrêté interdisant l’épandage de ces produits à proximité des maisons. Saillans est encerclé de vignes à majorité conventionnelle. Mais la mairie a refusé, « ce n’est pas sa méthode », dit-elle. Elle a préféré organiser un GAP sur le sujet avec à la clé une réunion publique entre des agriculteurs et un médecin. « C’est à l’Assemblée nationale de légiférer efficacement, pas à une commune de 1.300 habitants », justifie Fernand Karagiannis. Pour lui, « il n’y aura pas de transformation écologique sans révolution démocratique, en incluant plus les citoyens, en donnant la parole aux habitants. Sans changement de manière de faire, il n’y aura pas de changement du tout », dit-il.
En mars prochain, l’élu se présentera aux élections municipales pour prolonger le travail de l’ancienne mandature. Il affrontera une autre liste qui défend, elle aussi, la démocratie participative. « L’idée a germé, elle s’est répandue. D’une certaine manière, le combat est déjà gagné », sourit-il.