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Rue 89/ Nouvel Observateur
A Singapour, des domestiques vendues comme des marchandises
Article mis en ligne le 2 octobre 2014

A Singapour, les promos s’appliquent à tout, même aux êtres humains. La phrase a l’air d’une mauvaise blague mais est tout ce qu’il y a de plus sérieuse pour Al Jazeera.

Cet été, un reportage de la chaîne qatarie a créé le scandale dans l’île en dénonçant les méthodes de « vente » des agences de placement des employées de maison, des jeunes femmes venues le plus souvent de pays asiatiques pauvres, comme les Philippines, le Myanmar ou l’Indonésie.

Depuis, la question des conditions de vie et de recrutement de ces jeunes femmes, appelées « maids » ou « helpers », est arrivée sur le devant de la scène dans l’île, et plus généralement en Asie (notamment à Hong Kong où des cas de domestiques maltraitées ont récemment défrayé la chronique).
Présentées comme des marchandises

L’article, publié en juin, enquêtait sur les agences de domestiques installées dans certains centres commerciaux, pointant des candidates « placées à l’étalage et disponibles à l’achat ».

Il suffisait en effet à l’époque de se balader dans certains centres commerciaux de la ville pour remarquer des agences où des dizaines de ces jeunes femmes étaient parquées, faisant semblant de s’occuper d’un bébé en plastique ou repassant indéfiniment le même linge afin de montrer leurs compétences. Certaines officines offraient même des promotions du mois et affichaient une spécialité selon un pays.

Suite à cet article, le ministère de l’Emploi singapourien (MOM) a réaffirmé que le « ministère exigeait des agences qu’elles soient responsables et aient des pratiques respectueuses vis-à-vis de leurs clients – à la fois les employeurs et les “foreign domestic workers” ».

Quelques jours plus tard, il a rappelé que les publicités qui comparent « des “helpers” à des marchandises pouvant être exposées et remplacées quand elles sont jugées insatisfaisantes » étaient inacceptables, puis a fait supprimer les panneaux les plus dérangeants.
Des candidates placées à l’étalage

Ces démarches n’ont pas suffi à endiguer la polémique qui a gagné les Philippines qui, en réaction, ont interdit plusieurs agences de « maids » singapouriennes sur leur territoire.

Le 13 septembre, le Myanmar a annoncé le qu’il suspendait toute migration de ses domestiques vers l’île pour cause de mauvais traitement de certaines de ses ressortissantes. (...)

Le gouvernement singapourien leur impose des conditions draconiennes pour obtenir un visa : il faut qu’elles aient entre 23 et 50 ans, qu’elles aient suivi au moins huit années d’études et surtout qu’elles aient passé avec succès toute une série de tests, dont un test de grossesse qu’elles doivent répéter tous les six mois. Si celui-ci est positif, elles sont renvoyées dans leur pays d’origine.

A ces contraintes, s’ajoute la pression financière des agences de recrutement, qui jouent le rôle d’intermédiaires entre elles et leur futur employeur. Pour les faire venir dans l’île et les former, ces agences leur facturent des frais qui peuvent s’élever à plusieurs milliers de dollars.

La pression s’est encore accrue ces derniers mois car les agences se livrent à une guerre des prix afin d’attirer les clients et réduisent les frais facturés à l’employeur mais se rattrapent sur les sommes qu’ils exigent des domestiques. Certaines remboursent toujours leur dette au bout d’un an et n’ont pas touché le premier centime de leur salaire. (...)

Depuis le 1er janvier 2013, elles ont aussi droit à un jour de repos par semaine, ou à une compensation financière si leur employeur sollicite leur présence. Auparavant, c’était un jour de congé par mois.

Une pub pour une agence de « maids » (Bestmaid.com)

En 2012, lorsque cette réforme a été décidée, elle a provoqué un tollé, une partie des Singapouriens se demandant comment ils allaient se débrouiller pendant le jour de congé de leurs domestiques. D’autres, au contraire, ont soutenu la mesure.

En pratique, elle a pour l’instant peu d’effet (...)

L’écheveau de relations est d’autant plus complexe qu’il s’agit d’interactions entre individus aux référentiels culturels différents, et que l’Etat singapourien rend les employeurs responsables de leurs actes. Si une « maid » tombe enceinte, se prostitue ou commet des délits, sa « famille » aussi est responsable.

Cette complexité se retrouve aussi dans la gestion du fameux jour de congé : certains employeurs singapouriens, appréhendant visiblement que leurs domestiques en profitent pour se prostituer (phénomène qui est une réalité) ou avoir un petit ami, ont décidé de les faire suivre par des détectives privés. Une agence, citée dans un article du site Asia News, disait ainsi qu’elle réalisait 20% de son chiffre d’affaires dans la filature de « maids ».

Alors qu’à l’opposé, d’autres employeurs offrent à leurs « maids » des cours de cuisine, de comptabilité ou de logistique sur leur jour de congé afin d’améliorer leur bagage, ici ou dans leur pays d’origine. (...)