
Nos collègues Benjamin Coriat, Fabienne Orsi, Jean-François Alexandrini, Pascale Boulet et Sauman Singh-Phulgenda ont publié dans AOC le 8 février 2022 un article intitulé « Biens publics ou biens communs mondiaux ? » Pour contribuer à la discussion, je formulerai une critique, non pas pour délégitimer la notion de « commun », mais pour débusquer les biais méthodologiques.
La critique du bien public ne manque-t-elle pas son but ?
L’idée de départ de nos collègues est que la notion de biens publics « s’inscrit dans la science économique mainstream ». Certes, ils ont raison de rappeler que Samuelson a établi une définition en 1954 qui allait devenir canonique dans la théorie néoclassique pour caractériser les biens dont les propriétés, à leurs yeux naturelles,étaient d’être non rivaux et non exclusifs. Il est donc vrai que les public goods, traduits en français tantôt par biens publics, tantôt par biens collectifs, submergèrent la littérature mainstream. Mais qu’est-ce qui autorise nos collègues à réduire le concept de public à l’enfermement néoclassique ? N’y a-t-il aucune autre conception de l’intérêt général, du bien public, des biens publics que celle de Samuelson, et même élaborée antérieurement à cette dernière ? Sans remonter bien loin, relisons quelques extraits du programme du CNR[iii]et on cherchera en vain un ralliement à la théorie néoclassique (...)
Nos collègues se saisissent de la manière dont la pandémie de Covid-19 a été gérée mondialement pour stigmatiser ce qu’ils appellent « la grande tragi-comédie des biens publics mondiaux ». Mais où se situe la tragi-comédie ? Dans le fait qu’ils existeraient sous ce nom ou dans celui de leur absence totale ? En quoi affirmer que « proclamer haut et fort que tel ou tel bien est un bien public mondial consiste en réalité, dans le respect du marché et dans ses interstices, à inclure autant qu’il est possible des dispositifs qui permettraient de pallier certaines de ses défaillances » est-il une démonstration de l’existence de ces biens publics ? De mon point de vue, l’artifice, donc la tragi-comédie, est ailleurs : c’est de faire croire à l’existence de ces biens aujourd’hui. La responsabilité de ce qu’il faut bien nommer une imposture incombe aux responsables politiques et économiques mais ne peut être imputée au bien public en soi. Et l’erreur intellectuelle serait ensuite de corroborer cette imposture. (...)