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Abandonnés dans un bout du monde
Gianrigo Marletta
Article mis en ligne le 13 février 2018

Asmat, Papouasie (Indonésie) — Elle était comme abandonnée, dans un bout du monde qui le serait aussi. Veillé par ses parents, impuissants, le petit corps squelettique de la fillette de 3 ans était enveloppé dans une couverture au seuil de l’hôpital, respirant avec peine.

Un aspect incontournable du métier de journaliste reporter d’images pour une agence de presse mondiale est le grand écart entre deux couvertures. Le passage parfois brutal d’un extrême à un autre. En l’occurrence, de la réception décontractée d’un ministre de la Défense dans le cadre luxueux d’un palais présidentiel, à la mise au point de ma caméra sur le visage émacié d’une enfant qui s’accroche à la vie. Comme cela s’est passé en janvier. (...)

C’est la première fois que nous sommes autorisés à pénétrer profondément en Papouasie, une région reculée et quasiment close aux journalistes occidentaux depuis des décennies. Ce n’est qu’avec l’arrivée du président Widodo, en 2014, que ce régime a commencé à s’assouplir. (...)

Il y a une forte présence militaire indonésienne à cause d’un sourd mouvement indépendantiste, sur cette île riche en ressources naturelles mais dont la population est si pauvre que certains souffrent de la faim. (...)

Le réseau dense de rivières qui la traverse est une source d’eau pour cette nature luxuriante, mais aussi le seul moyen de communication pour les populations des villages qui s’y trouvent. Après une heure d’un vol, pendant lequel le pilote a volé assez bas pour nous permettre de faire de bonnes vues aériennes, nous avons atterri à Agats, la minuscule capitale de la région du district d’Asmat. (...)

C’est dans cet endroit extrêmement isolé que des centaines d’enfants ont été touchés par l’épidémie de rougeole. Il n’est qu’à environ 150 km de Timika, près de laquelle se trouve l’une des plus grandes mines d’or et de cuivre au monde, propriété de l’entreprise américaine Freeport-McMoRan.

Mais pour atteindre Timika, il faut louer un petit avion, pour 2.000 à 3.000 dollars, attendre un vol commercial, qui n’est pas quotidien, ou prendre un bateau, pour une traversée de dix heures. Il n’y a pas de route, et pas de voitures à Agats. (...)

Alors pour les malades qui n’en ont pas les moyens, il reste un hôpital, sous-équipé, pour soigner 130.000 personnes. Il sent mauvais. Il n’y a pas de laboratoire. Ni bloc chirurgical. Dans les villages, on trouve des cliniques qui n’en ont que le nom, avec des médecins et infirmières débordés. (...)

Une fillette était allongée à même le sol, dans une cour à l’extérieur de l’hôpital, avec des jambes plus maigres encore que le trépied portant la perfusion qui la maintenait en vie.

Quelqu’un avait garé sa moto à quelques mètres de sa tête.

Elle avait les yeux ouverts, fixant le vide.

Il est rapidement apparu que derrière l’histoire de la rougeole, il y avait celle de la malnutrition. (...)

La population locale, la tribu Asmat, a la malchance d’être prise entre deux mondes.

Elle descend d’un peuple habitué à vivre dans et de la jungle, en en tirant sa subsistance. (...)

L’envoi de ce film a pris plus de 14 heures de transmission avec notre équipement satellite. Je suis resté devant l’écran de mon ordinateur portable toute la nuit, jusqu’à sept heures du matin, à m’acharner à transmettre. Dans des conditions normales, ça me prendrait 20 minutes. (...)