
La question de l’accaparement des terres et de l’eau est devenue un problème lancinant qui affecte les communautés rurales et la petite paysannerie, pratiquement partout dans le monde. A cela plusieurs explications : l’avancée urbaine sur les terres rurales et la spéculation foncière qui l’accompagne, la mise en œuvre de mega-projets touristiques, miniers, énergétiques, etc. et bien évidemment et surtout, le fait que l’agriculture est de moins en moins l’affaire des agriculteurs, grands ou petits, mais celle des investisseurs pour qui la terre et l’eau n’ont d’autre valeur que d’être une simple source de profit. Le Maroc n’échappe pas à ce fléau. Je voudrais ici en donner quelques exemples.
Accaparement des terres et de l’eau au Maroc
21 octobre par ATTAC/CADTM Maroc
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La question de l’accaparement des terres et de l’eau est devenue un problème lancinant qui affecte les communautés rurales et la petite paysannerie, pratiquement partout dans le monde. A cela plusieurs explications : l’avancée urbaine sur les terres rurales et la spéculation foncière qui l’accompagne, la mise en œuvre de mega-projets touristiques, miniers, énergétiques, etc. et bien évidemment et surtout, le fait que l’agriculture est de moins en moins l’affaire des agriculteurs, grands ou petits, mais celle des investisseurs pour qui la terre et l’eau n’ont d’autre valeur que d’être une simple source de profit. Le Maroc n’échappe pas à ce fléau. Je voudrais ici en donner quelques exemples.
Les Oulad Dlim
Quelques personnes s’étaient déplacées, hélas pas assez nombreux, pour tenter d’arrêter, en décembre 2013, les pelleteuses venues détruire les quelques maisons et les quelques cultures restantes appartenant aux membres de la tribu des Ouled Dlim, sur leur territoire Guich, à la périphérie Sud de Rabat. Ces terres leur avaient été concédées à perpétuité par le Sultan Moulay Abderrahmane en 1838 en échange de leur protection militaire. Depuis, les Oulad Dlim se sont mués sur ces terres en petits agriculteurs, pratiquant le maraîchage, ou gérant des pépinières pour les jardins des villas environnantes, constituant une enclave rurale dans une zone de spéculation immobilière intense. Que valent alors quelques dizaines de petits paysans face aux appétits des promoteurs immobiliers ? Leurs terres collectives sont pourtant « inaliénables , insaisissables, imprescriptibles », selon le dahir de 1919, toujours en vigueur. Mais le Ministère de l’Intérieur, sous la tutelle duquel sont placées ces terres, qu’il est supposé protéger, déploie alors ses forces de répression et évacue manu militari le terrain, mettant ainsi fin à plusieurs décennies de lutte durant lesquelles les Oulad Dlim ont tenté de résister pas à pas aux bulldozers. (...)
Accaparement des terres et de l’eau au Maroc
21 octobre par ATTAC/CADTM Maroc
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La question de l’accaparement des terres et de l’eau est devenue un problème lancinant qui affecte les communautés rurales et la petite paysannerie, pratiquement partout dans le monde. A cela plusieurs explications : l’avancée urbaine sur les terres rurales et la spéculation foncière qui l’accompagne, la mise en œuvre de mega-projets touristiques, miniers, énergétiques, etc. et bien évidemment et surtout, le fait que l’agriculture est de moins en moins l’affaire des agriculteurs, grands ou petits, mais celle des investisseurs pour qui la terre et l’eau n’ont d’autre valeur que d’être une simple source de profit. Le Maroc n’échappe pas à ce fléau. Je voudrais ici en donner quelques exemples.
Les Oulad Dlim
Quelques personnes s’étaient déplacées, hélas pas assez nombreux, pour tenter d’arrêter, en décembre 2013, les pelleteuses venues détruire les quelques maisons et les quelques cultures restantes appartenant aux membres de la tribu des Ouled Dlim, sur leur territoire Guich, à la périphérie Sud de Rabat. Ces terres leur avaient été concédées à perpétuité par le Sultan Moulay Abderrahmane en 1838 en échange de leur protection militaire. Depuis, les Oulad Dlim se sont mués sur ces terres en petits agriculteurs, pratiquant le maraîchage, ou gérant des pépinières pour les jardins des villas environnantes, constituant une enclave rurale dans une zone de spéculation immobilière intense. Que valent alors quelques dizaines de petits paysans face aux appétits des promoteurs immobiliers ? Leurs terres collectives sont pourtant « inaliénables , insaisissables, imprescriptibles », selon le dahir de 1919, toujours en vigueur. Mais le Ministère de l’Intérieur, sous la tutelle duquel sont placées ces terres, qu’il est supposé protéger, déploie alors ses forces de répression et évacue manu militari le terrain, mettant ainsi fin à plusieurs décennies de lutte durant lesquelles les Oulad Dlim ont tenté de résister pas à pas aux bulldozers.
L’avancée rapide de l’urbanisation (selon une étude menée en 2004 par le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, la superficie totale des terres agricoles consommées par l’urbanisation sera à l’horizon 2025 de près de 90 000 ha, avec un rythme moyen d’environ 4500 ha par an) peut donc se faire par expulsion violente de petits agriculteurs vivant sur leurs terres (collectives, comme dans le cas des Oulad Dlim, ou privées). Ce processus a été facilité dès l’époque de la colonisation par une législation ambiguë, par la Tutelle du Ministère de l’Intérieur sur les terres collectives (permettant notamment de faire jouer la notion d’utilité publique pour la construction de logements sociaux), par la dissociation des terres collectives de culture, qui peuvent désormais être privatisées au bénéfice des ‘ayant-droits’ |1|
des terres de parcours, supposées restées, en principe (mais nous verrons plus loin qu’il n’en est rien) inaliénables. Or dès que ces terres de culture sont privatisées, elles entrent de facto dans le marché du foncier et peuvent donc être revendues en dehors de la communauté ethnique. Mais souvent les agriculteurs préfèrent eux-mêmes vendre, découragés par l’avancée de l’urbain sur leurs terres et alléchés par l’explosion des prix du foncier dans le péri-urbain, même s’ils sont loin d’être les premiers bénéficiaires de la spéculation foncière.
Les Oulad Sbita
Manifestation des femmes des Oulad Sbita devant la municipalité de Bouknadel à l’occasion du 8 mars. « Pas touche aux terres collectives des Oulad Sbita. ».Photo de l’auteur
Quelques kilomètres plus au Nord, entre la route Salé-Kénitra et la côte Atlantique, ce sont les Oulad Sbita qui mènent depuis plus de 5 ans un combat contre la spoliation de leurs terres par une société immobilière, Addoha, pour y construire un complexe touristique, hôtels, villas, golfs, etc.
C’est là aussi que le Paris-Saint-Germain a établi sur 500 ha l’une de ses écoles de foot, la PSG Academy |2|. L’Essec de Paris y a également implanté une succursale. Frais d’inscription : 10 000 euros par an.
Ce ne seront certainement pas les enfants des Oulad Sbita, dont les parents vivaient de maraîchage et d’élevage et qui ont pour la plupart déjà été expulsés de leurs terres, qui pourront s’y inscrire. Là encore la puissance de l’argent fait fi des règles du droit et des intérêts des habitants vivant sur leurs terres. Les pelleteuses sont aussi entrées en action, et seules subsistent encore quelques fermes et maisons dont les habitants sont sous le coup d’arrêtés d’expulsion.
L’impact du tourisme sur le foncier
Le tourisme est aussi facteur important d’expulsion des paysans de leurs terres et de destruction des petites exploitations paysannes.
Le seul Plan Azur consacré au tourisme prévoit l’aménagement d’une douzaine de mega-sites balnéaires (dont certains sont déjà réalisés, d’autres en cours et certains en panne). Installés chacun sur plusieurs centaines d’hectares, ils vont mobiliser au total plus de 6000 ha de terrains, largement mis à disposition du privé à partir des domaines de l’État, (plus de la moitié des quelques 1 million d’hectares de terres agricoles possédés par l’État ont été aujourd’hui privatisés) mais aussi par un processus d’immatriculation de terres privées ou collectives pour en permettre la vente.
… et sur l’eau
Ces complexes touristiques sont de véritables catastrophes écologiques. Non seulement ils saccagent des paysages magnifiques et des écosystèmes fragiles, mais ils accaparent une eau pourtant rare dans bien des régions. Pas moins de 20 golfs sont prévus dans ces 12 projets, le nombre de piscines est incalculable. A Marrakech, il est prévu qu’aux 8 golfs actuels s’en ajoutent 11 de plus. Chacun d’eux consomme annuellement l’équivalent d’une ville de 30 000 habitants |3|. La plaine du Haouz, autour de Marrakech, asséchée et rongée elle aussi par la conversion des fermes en établissements touristiques et ryads pour étrangers ou marocains fortunés, a aujourd’hui fortement diminué son activité agricole, pourtant si importante il y a quelques décennies. Ainsi selon le Ministère de l’agriculture, la SAU dans le Haouz de Marrakech a diminué de 25 % en seulement 5 ans et il est prévu que la production de blé diminue de 40 % d’ici à 2020.
2008/2009
SAU TOTALE (en hectares)* dont SAU irriguée 1288900 964685 -25%
365798 340059 -7%
Les prévisions pour le site de Ouarzazate lake city, situé au-dessus du barrage El Mansour Addahbi (qui fournit aussi les eaux pour la centrale solaire Noor, pour l’agriculture commerciale implantée dans l’oasis de Zagora et ne parvient plus à alimenter l’ensemble de la vallée de l’Oued Draa, dont les derniers villages dans le désert sont maintenant pourvus en eau par des camions citernes et où les palmeraies se meurent) étaient que la consommation en eau pour ce seul site touristique dépasserait celle de la ville de Ouarzazate et de ses 105 000 habitants. Du coup, les prévisions ont été revues à la baisse.
Les grands projets inutiles. L’exemple de la centrale Noor
Il ne faut pas oublier dans cette liste, l’impact de ce que l’on appelle les « grands projets nuisibles ou inutiles ». Le Maroc se couvre aujourd’hui de plateformes portuaires (Tanger Med), arrimées à des zones franches commerciales et industrielles implantées sur place et un peu partout dans le reste du Maroc, d’un dense réseau d’autoroutes, d’une ligne TGV, multiplie l’implantation de mega-projets d’éoliennes, de centrales solaires, thermiques (charbon, gaz), etc… Tous ces projets se soldent par des accaparements de terres.
Un cas emblématique est celui de la centrale solaire Noor.
Conçu comme arrimé au plan Desertec, vaste projet transsaharien finalement abandonné en particulier du fait de la tiédeur de l’Union européenne et du retrait de la BEI de ce projet jugé « pharaonique » et trop onéreux.
500 000 panneaux solaires qui ont été posés sur le sable – et ce n’est que la première tranche. 4 nouvelles centrales doivent être construites.
Accaparement des terres
Il est fait fi des populations qui sont sur leurs terres –collectives- et y exercent l’activité économique qui les fait vivre : l’élevage extensif.
Elles ont été doublement spoliées : quelques 3000 hectares de leurs terres collectives |4| ont été expropriées pour 1 dirham symbolique le m2. Les tribus concernées n’ont rien touché, les sommes ont été placées dans un fonds de « développement » pour financer des projets préparés loin des populations, et pour toute la région, si tant est qu’ils voient le jour. Aucune consultation préalable, libre et informée des tribus berbères concernées n’a été menée |5|
. Tout au plus une réunion d’information.
Accaparement de l’eau
Le choix s’est porté sur la technologie la plus gourmande en eau (énergie solaire thermique à concentration (ESC) avec refroidissement par voie humide et non sur la technologie photovoltaïque (PV) qui ne demande que peu d’eau. Et ce dans une région qui connaît un stress hydrique permanent. 2 à 3 millions de m3/an seront utilisés |6|.
Le résultat en est que cette énergie est plus chère que toutes les autres sources d’énergie et va priver les populations locales et les cheptels d’une eau déjà rare.
Mais tout ce qui vient d’être décrit précédemment n’est rien comparé à l’impact du ‘Plan vert’, feuille de route des réformes engagées dans le domaine de l’agriculture au Maroc. Les Marocains pourront-ils payer cette énergie chère ou bien va-t-elle être subventionnée pour garantir les bénéfices des entreprises ?
On voit donc à quel point l’accaparement des terres est au cœur des politiques de « développement » mises en place par l’État marocain.
Mais tout ce que je viens de décrire précédemment n’est rien comparé à l’impact du « Plan vert », feuille de route des réformes engagées dans le domaine de l’agriculture au Maroc.
Le Plan vert
Adopté en 2008, le Plan vert est la feuille de route de la libéralisation du secteur agricole au Maroc. Il organise la mise en œuvre d’une agriculture de plus en plus tournée vers l’exportation et de moins sur les besoins alimentaires de la population marocaine qui achète de plus en plus de produits importés.
Il repose sur deux piliers, le pilier 1 consacré à l’agriculture dite « moderne » et le pilier 2 consacré à l’agriculture « solidaire » (qualificatif utilisé pour désigner la petite agriculture familiale.
Entre ces deux piliers, une relation de dépendance est mise en place, désignée sous le nom « d’agrégat » où les petits exploitants deviennent un chaînon de la chaîne de valeur de l’agrobusiness. Et s’ils ne peuvent pas suivre, ils n’ont plus alors d’autre choix que de vendre leurs terres.
Ce plan prend appui sur l’accord agricole Maroc-UE, signé en 2012, qui fixe les priorités et les quotas d’import/export entre les deux régions et prévoit notamment l’abandon progressif de la céréaliculture afin de permettre à l’UE de vendre sa production au Maroc (l’argument, faisant fi de toute notion de souveraineté alimentaire, est la faible productivité de la céréaliculture marocaine). (...)