Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Accenture et McKinsey embauchés par l’Etat pour faire un milliard d’économies
Article mis en ligne le 10 février 2021

Bercy vient de confier à Accenture et McKinsey l’élaboration d’un plan d’économies d’au moins un milliard d’euros d’ici 2022, d’après nos informations. Ces deux cabinets profitent déjà des carences de l’État dans la gestion de la crise sanitaire.

(...) Leur mission : intervenir auprès des services de l’État et de certains opérateurs pour les inviter à couper dans leurs dépenses budgétaires.

Ce marché comporte une part variable importante, indexée sur les économies qui seront effectivement réalisées, ce qui a provoqué d’importantes discussions lors de sa rédaction puis publication en décembre 2019. Treize mois et une pandémie mondiale plus tard, alors que le processus d’attribution a été plusieurs fois suspendu, c’est l’opportunité même de conduire cette mission qui suscite les interrogations. Le fait qu’elle échoie en plus à deux cabinets de conseil qui profitent par ailleurs des carences de l’État dans la gestion de la crise ajoutant une couche de débat supplémentaire. (...)

Le premier lot, pour lequel Accenture a été retenu au mois de novembre 2020, se concentre sur les services de l’État, pour lesquels le besoin minimal en terme d’économies à réaliser a été fixé par Bercy à 800 millions d’euros. Le montant de ce lot est estimé à 25 millions d’euros.

C’est deux mois plus tard, le 11 janvier, que l’offre du groupement dont McKinsey est le mandataire a été sélectionnée pour la deuxième partie du marché, qui porte sur les économies à réaliser dans 484 établissements publics (avec une priorité sur 31 d’entre eux), pour un montant minimal d’économies estimé par Bercy à 200 millions.

Située, selon nos calculs, autour de 18 millions d’euros (part variable comprise), l’offre de McKinsey n’était pas la mieux-disante des quatre candidatures retenues dans la dernière phase du marché. Mais, le cabinet américain, qui recrute dans la haute administration et le monde politique, et comprend parfaitement la grammaire de Bercy, a su refaire son retard sur la partie technique de la notation. (...)

La situation ne manque pas de sel, puisque les deux sociétés de conseil, omniprésentes dans la gestion de la crise sanitaire, apparaissent aux deux bouts de la chaîne dans les choix opérés en matière de politique publique. D’un côté, elles accompagnent l’État dans ses orientations pour tailler dans la dépense publique. De l’autre, elles bénéficient des coupes budgétaires en venant en aide à l’État pour pallier ses propres carences. Dans les deux cas, les cabinets empochent les contrats dans les interstices laissés par la puissance publique.

Le cabinet McKinsey, dont le rôle dans la campagne de vaccination a été révélé par Le Canard enchaîné et Politico, toucherait pour sa part 2 millions d’euros par mois pour cette mission. La société doit accompagner le ministère dans la conduite opérationnelle et la gestion logistique. Là encore, elle a été mobilisée en extrême urgence, fin 2020, alors que plusieurs projets cruciaux de la campagne de vaccination n’étaient toujours pas lancés.

La publication par Mediapart (voir ici) de quelques-uns des « livrables » présentés par McKinsey lors d’une réunion au ministère de la santé le 23 décembre n’a pas manqué de faire hurler plusieurs hauts fonctionnaires. Le cabinet américain y a par exemple présenté un « benchmark » (technique de marketing de comparaison des performances) pour ajuster la stratégie de vaccination française sur la campagne allemande. « Toutes les données présentées sont disponibles en sources ouvertes », raille un haut fonctionnaire, en moquant la plus-value de McKinsey et le calendrier de présentation. « C’était bien trop tard, il aurait fallu comparer les stratégies plusieurs mois en amont. Et puis, l’État n’a-t-il pas de réseau diplomatique pour savoir ce qu’il se fait ailleurs ? », ajoute-t-il.

« La question aujourd’hui est de savoir : est-ce qu’il est normal qu’une administration comme celle de la santé ne soit plus en capacité d’assurer un certain nombre de missions ? », ajoute auprès de Politico, la députée Les Républicains Véronique Louwagie, rapporteuse spéciale du budget sur des sujets liés à la santé. (...)

Comment une société domiciliée dans un paradis fiscal peut-elle être sélectionnée par l’État pour un plan de réduction de la dépense ? Interrogé sur cette situation, le ministère de l’économie et des finances, visiblement gêné, se retranche derrière le fait que McKinsey s’est associé avec deux sociétés françaises. (...)

Globalement, cet entêtement à poursuivre dans le sens de la « rationalisation » des dépenses publiques et à confier à des cabinets privés internationaux la charge de cette politique confirme le caractère profondément néolibéral de la démarche de l’actuel exécutif. Quelles que soient les circonstances, et alors même que l’État paie actuellement salaires et charges fixes pour un grand nombre d’entreprises, l’État doit, en tant que structure, maigrir et être mis aux ordres et à la disposition des multinationales. Il doit s’imposer des critères issus du privé pour le seul principe et alors même qu’en empêchant aujourd’hui les faillites, il protège les entreprises du fonctionnement « normal » du marché.

Accenture et McKinsey paraissent donc bien être le seul vainqueur d’un marché de ce type. Non seulement ils y gagneront des honoraires acquis sur l’amaigrissement de l’État que paieront, par ailleurs d’autres entreprises. Mais ils dicteront aussi leur loi aux structures étatiques et auront accès à des informations « sensibles », « y compris à [leur] demande », précise l’appel d’offres. Bref, les cabinets seront servis et se serviront.