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Accompagner les étrangers détenus : les CPIP dans l’impasse
Par Charline Becker de l’Observatoire international des prisons-section française. Dossier sur les étrangers détenus, 6/11.
Article mis en ligne le 18 février 2021

Chargés de travailler à un projet de réinsertion avec les détenus, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont souvent confrontés, en ce qui concerne les personnes étrangères, à l’irrégularité de leur situation administrative, qui bloque l’accès aux dispositifs sociaux traditionnels. (...)

Démunis pour y faire face, les CPIP se voient alors contraints de recentrer leur action sur un accompagnement a minima, qui consiste à « faciliter » la détention plutôt que préparer à la sortie. (...)

Pour les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), l’accompagnement des personnes en situation irrégulière est bien souvent une gageure. L’obstacle de la langue est l’une des principales difficultés rencontrées. Si les détenus non francophones bénéficient systématiquement d’un interprète devant le juge, ce mécanisme s’étend rarement aux entretiens menés par les CPIP. Et ce alors même que les personnes étrangères représentent, dans certaines prisons, près de 50 % des personnes suivies. « Nous n’avons pas du tout d’interprètes à Fleury, explique Mathilde, CPIP dans l’établissement. Pendant un temps, ISM interprétariat venait, mais ce n’est plus le cas. Donc c’est la débrouille. » Un système D qui repose bien souvent sur l’assistance de codétenus, plus ou moins bilingues. Ce bricolage s’accorde pourtant mal avec les exigences déontologiques que requièrent les entretiens : « C’est problématique, on ne peut pas aborder les sujets sensibles. Donc on ne creuse pas les choses en profondeur, on ne travaille pas sur les faits commis par exemple », poursuit Mathilde.
Quand bien même les échanges sont possibles, l’irrégularité de la situation administrative de nombre d’étrangers détenus vient alors mettre en échec toutes les démarches et outils habituellement utilisés par les CPIP.
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Cette préparation à la sortie est rendue d’autant plus compliquée qu’un titre de séjour est le plus souvent exigé pour obtenir un aménagement de peine. Ne reste alors comme solution que de travailler à l’obtention ou au renouvellement de ce précieux sésame. Un parcours du combattant, tant les obstacles matériels et les pratiques des préfectures viennent faire obstacle à ces démarches. (...)

La question incontournable des papiers
Avant même d’envisager une démarche de régularisation, la personne doit disposer de documents d’identité à jour. Or, lorsque ces derniers n’ont pas été perdus ou confisqués, ils peuvent avoir expiré durant le temps de la détention. La première étape est donc d’en solliciter le renouvellement auprès du consulat de son pays d’origine. Or, « très peu de consulats se déplacent en détention, explique une assistante sociale. Dans la région, on n’arrive à faire venir que le consulat du Maroc, et encore ». La personne doit alors solliciter une permission de sortir pour s’y présenter en personne. Or l’octroi de ces permissions est soumis à l’appréciation des juges de l’application des peines et est loin d’être systématique : beaucoup d’entre eux la conditionnent notamment à la présentation d’une convocation officielle du consulat.
Si les papiers sont à jour et qu’une permission de sortir a été accordée, c’est donc à la préfecture que se joue l’étape suivante – étape qui marque bien souvent la fin du parcours. Car une fois la demande déposée, la très grande majorité des détenus se heurte aux pratiques des préfectures qui, par principe, refusent souvent d’examiner les demandes de séjour effectuées en détention. Des pratiques qui, bien qu’illégales, sont rarement contestées par les CPIP.
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La préfecture, c’est bien simple : en l’absence de réponse au bout de quatre mois, il y a une décision implicite de rejet qui peut être contestée devant les tribunaux administratifs. Le problème, c’est que la majorité des CPIP sont très peu formés en droit public. Ils font des courriers, des relances, qui ne marchent pas. Mais ils n’ont pas ce réflexe, typiquement publiciste, de faire naître des décisions implicites pour les attaquer ensuite. (...)

De fait, le module de formation en droit des étrangers, dispensé un temps, a désormais disparu des programmes de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP). Quant à la formation continue, cette dernière est plus que parcellaire et varie selon les établissements. (...)

« On renvoie les dossiers vers des spécialistes, la Cimade ou les points d’accès au droit » (...)

« Ça fait des années que nous demandons des intervenants spécialisés sur le sujet, mais comme nous sommes un peu éloignés de la région parisienne… » regrette une CPIP. L’auto-formation reste alors le seul outil à leur disposition.
Un accompagnement non prioritaire
Démunis, confrontés à des difficultés qui paraissent insurmontables, les CPIP s’épuisent. « Accompagner ces dossiers, cela nous prend énormément de temps. Il faut tout le temps faire des relances, alors quand on suit cent dossiers, ce n’est pas possible. Surtout quand la personne ne peut pas faire la moindre démarche seule
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À défaut de pouvoir préparer la sortie, solliciter un aménagement de peine ou travailler sur les faits, les CPIP tentent alors d’investir d’autres aspects de la vie en détention. « Nous allons beaucoup travailler sur la prévention des risques suicidaires, par exemple. Sur le maintien des liens avec la famille, sur les moyens de rompre l’isolement, explique l’un d’eux. Ce sont des gens souvent très isolés, sans soutien de leurs proches : on va aussi travailler sur l’accès à l’emploi en détention par exemple. » À l’approche de la sortie, l’accompagnement peut également porter sur la contestation d’éventuelles OQTF, sur le développement de réseaux informels de solidarité, via la famille ou les amis, ou encore sur la mise en lien avec des associations spécialisées telles que la Cimade. En d’autres termes, des perspectives limitées qui tranchent avec les objectifs traditionnels de réinsertion. (...)