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Mediapart
Accusée de graves dysfonctionnements, la direction du Refuge démissionne
Article mis en ligne le 20 février 2021

Un rapport d’un cabinet indépendant confirme la gestion « défaillante » de la fondation qui vient en aide aux jeunes LGBT. Le parquet de Montpellier a été saisi et la Région Île-de-France a commandé un audit. Le président Nicolas Noguier et le directeur Frédéric Gal démissionnent.

Les conclusions du rapport sont aussi rapides qu’accablantes. Après les révélations de Mediapart, en décembre 2020, sur les graves manquements de la direction de la fondation Le Refuge, qui vient en aide aux jeunes LGBT en situation d’errance, celle-ci avait démenti tout dysfonctionnement.

Le conseil d’administration avait toutefois commandé un audit au cabinet indépendant Boston Consulting Group (BCG) pour établir le diagnostic de cette structure fondée en 2003 et dirigée par le duo Nicolas Noguier et Frédéric Gal. Après la publication d’une synthèse de trente-huit pages, le conseil d’administration annonce la démission de ses deux dirigeants et reconnaît « des dysfonctionnements structurels imposant une réaction forte et urgente ». (...)

« Au nom de la Fondation, le conseil d’administration souhaitait en premier lieu présenter ses excuses et avoir une pensée pour toutes les personnes, jeunes, bénévoles, salarié·e·s, qui ont pu se sentir blessé·e·s, mal accueilli·e·s, ou mal considéré·e·s. À toutes celles-ci et à tous ceux-là nous leur affirmons avec force que nous ferons tout pour regagner leur confiance », peut-on lire dans le communiqué publié jeudi soir par Le Refuge.

Après un mois d’investigation, plus de 1 400 témoignages reçus et 150 entretiens effectués, le cabinet BCG livre un constat sans appel : « La Fondation n’a pas su professionnaliser sa gestion, formaliser son fonctionnement, ni mettre en place une gouvernance équilibrée. De ce fonctionnement “artisanal” résulte une grande hétérogénéité selon les périodes et les géographies, avec des dysfonctionnements structurels pouvant exposer salarié·e·s, bénévoles et jeunes à des situations qui semblent incompatibles avec la mission du Refuge. »

Le cabinet souligne d’abord l’importance des missions du Refuge et sa nécessité unanimement reconnue. Mais BCG évoque aussi « une culture défaillante » qui se traduit par un manque de dialogue, un climat de défiance et un mal-être au travail « d’une partie significative des acteurs de la Fondation ». Il pointe aussi « les risques dans la gestion des faits graves susceptibles de survenir au contact d’un public fragile ». Pour l’illustrer, le cabinet livre aussi quelques statistiques éclairantes sur le mal-être des salariés et bénévoles de la fondation (...)

Le rapport évoque aussi la prise en charge défaillante des jeunes par Le Refuge. Près de 30 % des jeunes estiment par exemple que leur consentement n’est pas systématiquement demandé pour utiliser leur image « sur les réseaux sociaux en particulier ». Dans des messages publiés par Mediapart, des travailleurs sociaux accusaient d’ailleurs le président Nicolas Noguier de mettre en danger des jeunes LGBT de Guyane en les exposant ainsi.

BCG révèle aussi que 50 % des salariés et bénévoles estiment qu’il n’existe pas au Refuge de procédure pour faire remonter et gérer des faits graves. En novembre 2017 par exemple, une jeune hébergée avait été agressée sexuellement dans un appartement parisien du Refuge par des intrus.

Pour Marie*, travailleuse sociale qui était intervenue à l’époque des faits, les jeunes n’étaient en effet « pas suffisamment protégés ». « Rien n’était prévu pour gérer une situation d’agression sexuelle : pas de formation, pas de protocole, ni de personne dédiée à solliciter », témoignait-elle.

Le cabinet pointe en outre de nombreux témoignages indiquant une prise en charge « encore inadaptée pour les personnes transgenres, reflet d’une formation insuffisante ». (...)

BCG évoque aussi certaines exclusions de jeunes LGBT qui « n’auraient par ailleurs pas été accompagnées d’une solution de transition, au risque de renvoyer le jeune vers la rue ».

Le parquet de Montpellier a été saisi

Le cabinet s’est également penché sur la proximité entre les dirigeants ou bénévoles avec les jeunes hébergés. Les chiffres sont édifiants : « 85 % des jeunes ayant subi des comportements perçus comme trop familiers de la part de certains salarié·e·s ou bénévoles estiment que Le Refuge n’a pas pris les mesures adaptées ou ne savent pas quelles mesures ont été prises face à ces situations. 25 % des jeunes interrogés ont le sentiment que des représentant·e·s du Refuge ont déjà eu des comportements trop familiers envers eux. » (...)

proximité jugée problématique du président du Refuge avec certains hébergés qui recevaient parfois des « câlins » ou des « étreintes » non souhaitées. Plusieurs bénévoles dénonçaient aussi le fait que de nombreux jeunes appellent Nicolas Noguier « Papa ». (...)

D’après nos informations, le président de la fondation avait écopé d’un rappel à la loi pour avoir eu des « échanges à caractère sexuel » inappropriés avec un individu. Le directeur général lui, était accusé d’avoir un comportement « problématique » que certains qualifiaient de « harcèlement sexuel ».

Lors de son enquête, BCG révèle qu’un « un certain nombre de faits graves » ont été portés à l’attention de son équipe qui a invité les personnes concernées à saisir notamment les autorités judiciaires. Et d’ajouter : « Dans ce cadre, un signalement a déjà été effectué par Le Refuge auprès de Monsieur le Procureur de la République de Montpellier. »

Jusqu’à présent, les autorités et le gouvernement ont en tout cas refusé de saisir l’IGAS, l’Inspection générale interministérielle du secteur social. C’est pourtant la seule institution capable de mener une véritable enquête. (...)

De son côté, la Région Île-de-France a, elle aussi, commandé un audit en février dernier pour analyser notamment l’utilisation faite par Le Refuge de ses subventions versées. (...)

Le collectif des anciens du Refuge se dit satisfait mais dénonce toutefois la proposition du conseil d’administration du Refuge de nommer Nicolas Noguier « président d’honneur ». « Cette proposition nous choque profondément. C’est un manque de respect et une insulte pour les victimes », estime le collectif. Ce que le cabinet de la ministre Élisabeth Moreno semble partager : « Pour nous, ce serait un mauvais signal. Nicolas Noguier ne doit plus avoir aucun rôle opérationnel, ce sera notre point de vigilance. »

Vendredi soir, plusieurs membres du comité éthique de la fondation ont mis en cause le conseil d’administration du Refuge et annoncé leur démission. (...)