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Actuel Moyen Âge – Héloïse, #balancetonporc !
Article mis en ligne le 9 mars 2018

Si on vous dit « Abélard et Héloïse », vous pensez probablement à une belle histoire d’amour médiévale : un couple qui s’aime passionnément, malgré l’opposition de leurs familles, et qui en paye le prix – Abélard se fait castrer de force, Héloïse est reléguée dans un monastère. Un Roméo et Juliette au XIIe siècle, en quelque sorte.

Je relisais il y a peu les lettres d’Abélard et, avec le mouvement #MeToo en tête (ou au cœur, ou aux tripes, ou les trois), cette belle histoire s’éclaire d’un jour différent. Et peu glorieux pour Abélard...

Abélard, prédateur sexuel

Replaçons les choses dans leur contexte. Nous sommes en 1113, à Paris. Abélard a 34 ans et est un professeur extrêmement réputé, dont la pensée originale et les méthodes souvent brutales ont fait la renommée. Héloïse, elle, a 21 ans : issue de la haute noblesse, elle suit des études avancées, ce qui est très rare à une époque où celles-ci sont surtout réservées aux hommes. Elle est visiblement très intelligente, très érudite et promise à un brillant avenir.

Entre les deux, pas de coup de foudre réciproque : Abélard, séduit par la brillante réputation de la jeune fille, décide sciemment de « l’avoir », pour l’ajouter à la liste de ses conquêtes féminines. Pour lui, c’est un jeu : « je pensais qu’il serait agréable de nouer avec elle une liaison amoureuse, et je crus que rien ne serait plus facile ».

La lettre dans laquelle il retrace son parcours dégouline d’orgueil : « j’avais une telle renommée, une telle grâce de jeunesse et de beauté, que je pensais n’avoir aucun refus à craindre ». Nulle part Abélard n’envisage la possibilité qu’Héloïse lui dise non. On sent bien que dans son esprit d’homme, la femme ne peut pas dire non. (...)

Abélard, manipulateur et amant abusif

Pour l’obtenir, il met en œuvre un plan assez grinçant : il emménage chez elle et réussit à convaincre son oncle d’en faire son élève. Abélard utilise alors cette position dominante pour séduire Héloïse. La pauvre est donc doublement coincée : son amant vit chez elle et prend en charge l’intégralité de son éducation.

Quelques années plus tard, quand tout est découvert, Abélard persuade Héloïse de prendre le voile et de se retirer dans un couvent. Elle explique clairement qu’il ne s’agit pas de sa propre décision : « par ton ordre, j’ai pris un autre habit, afin de te montrer que tu étais le maître unique de mon cœur aussi bien que de mon corps ». Bref, Abélard décide, il choisit pour elle, la forçant à renoncer à sa position sociale et à sa vie. Et il l’abandonne pendant plusieurs années, la poussant à le supplier de lui écrire une lettre, car elle se sent « négligée et oubliée ».

Héloïse en vient à adopter une rhétorique de l’auto-humiliation (...)

Dénigrement, auto-humiliation, perte de confiance en soi, soumission totale aux désirs de l’homme, intériorisation de la soumission, souffrance, détresse psychologique, renoncement à ses propres aspirations, fermeture aux autres : je n’invente rien, tout est là. On parlerait de harcèlement moral pour moins que ça aujourd’hui…

Abélard, mari violent et violeur

En outre ce harcèlement moral insidieux se double d’une violence physique beaucoup plus explicite. Abélard mentionne en effet l’air de rien : « j’allais parfois jusqu’à la frapper, coups donnés par l’amour, non par l’exaspération, par la tendresse, non par la haine ».

Bon. À ce stade, deux possibilités. Soit Abélard est le Christian Grey du XIIe siècle et Héloïse prend son pied en recevant une fessée – je ne juge pas, si c’est leur trip, ça les regarde. Soit, et c’est hélas plus probable, Abélard est un mari violent qui, comme la plupart des maris violents, se persuade lui-même qu’il fait ça par amour.

D’ailleurs, c’est comme ça qu’il est parvenu à ses fins : comme le dit Abélard lui-même, il a utilisé sa position de professeur pour « la châtier sévèrement » et a « triomphé par les menaces et par les coups » après avoir constaté que « les caresses étaient impuissantes ». Il le répète plus loin en écrivant à Héloïse elle-même : « tu refusais, tu résistais, mais j’ai arraché ton consentement par des coups, en profitant de ta faiblesse ». Personnellement, en lisant ça, je pense « viol » plutôt qu’histoire d’amour. Et même viols, car Abélard dit bien qu’il l’a fait « plusieurs fois ».

La belle passion amoureuse d’Abélard et Héloïse n’est plus si reluisante, n’est-ce pas ? (...)