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“Affaire Assange : ils n’ont pas pu tuer le messager.”
/Dom Lore/ Par Baltasar Garzón, avocat de Julian Assange - 7 janvier 2021. * Cette note a été publiée à l’origine sur le site espagnol infoLibre. Baltasar Garzón est le coordinateur de la défense de Julian Assange.
Article mis en ligne le 11 janvier 2021

Je ne sais pas si le nom de Vanessa Baraitser, juge à la Cour pénale centrale de Londres, restera dans l’histoire du droit pénal international ou dans l’histoire des extraditions des ressortissants de son pays, mais la décision qu’elle a rendue lundi marquera un tournant dans sa carrière en refusant de livrer Julian Assange, fondateur de Wikileaks, aux États-Unis d’Amérique. Ce fut le cas en ce qui concerne le juge Ronald Bartle lorsqu’il a accordé l’extradition d’Augusto Pinochet en 1999.
Il est vrai qu’elle aurait pu, et peut-être aurait-elle dû, prendre une décision plus énergique, en prenant clairement la défense de la liberté d’expression comme moteur de sa condamnation, mais elle a choisi de recourir à la variable la moins compliquée pour la justice britannique, toujours aussi équilibrée et politiquement correcte, à savoir les motifs humanitaires.

En refusant d’extrader Julian Assange comme le lui demandaient les États-Unis, elle a suscité un soupir de soulagement collectif. La juge est venue résoudre ce que l’équipe de défenseurs que je coordonne a si souvent souligné : la santé de Julian Assange s’est clairement détériorée en raison de tant d’années d’enfermement forcé et du harcèlement constant dont il a fait l’objet pendant ce siège de longue durée .

"Le risque qu’Assange se suicide, si l’extradition était autorisée, est élevé. La santé mentale de M. Assange est dans un tel état qu’il serait accablant pour lui d’être extradé vers les États-Unis.” déclare Baraitser.

C’est vrai. J’ai vu de mes propres yeux comment le journaliste et fondateur de WikiLeaks a été traité de manière inhumaine par des forces puissantes et omniprésentes qui ont tenté par tous les moyens de le réduire au silence, de le neutraliser et de l’éliminer. Ils n’ont pas réussi.

C’est un combat de David contre Goliath que nous avons entrepris pour lutter contre l’impunité des États-Unis depuis le 19 juin 2012, lorsque Julian s’est retrouvé reclus à l’ambassade de l’Équateur à Londres pour demander l’asile, qui lui a été accordé par le gouvernement du président Rafael Correa, courageux face à l’imposante administration américaine. Nous risquions la liberté d’expression, la liberté d’information et, surtout, le droit des citoyens de savoir qui tire les ficelles qui font bouger le monde, ce qu’ils ne veulent pas que nous sachions et où ils ont l’intention de nous emmener. En d’autres termes, l’essence même de la démocratie était en jeu.

Assange s’est levé.

Julian Assange a mis fin à l’ignorance et a payé pour cela. Il a été accusé d’avoir commis 18 crimes, dont 17 en vertu de la loi sur l’espionnage de 1917 - vous voyez de quelle époque nous parlons - et un autre lié à une prétendue aide à la militaire Chelsea Manning, qui, selon les États-Unis, serait à l’origine des fuites de WikiLeaks. Les 175 ans d’emprisonnement qui lui sont réclamés sont liés à la publication des journaux de guerre de l’Irak et de l’Afghanistan en 2010, aux archives de Guantanamo et aux câbles du Département d’Etat. Ce qu’Assange a révélé, c’est la pratique de différents crimes par les autorités américaines : crimes de guerre, torture et divers crimes internationaux.

Il a vécu une véritable épreuve depuis lors. C’est ce qu’a souligné le rapporteur des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, avec des rapports répétés et percutants. En outre, le traitement reçu dans la prison de haute sécurité de Belmarsh depuis son expulsion de l’ambassade en avril 2019, a conduit à la conviction de la part de la justice, que tout processus à son encontre qui se terminerait par une condamnation serait cruel et pourrait conduire à une mort certaine.

Cette résolution montre la démesure des peines possibles et les doutes que le système carcéral américain, surtout en période de pandémie, suscite chez la juge et nous fait lire, dans sa résolution, l’apparente contradiction d’affirmer que le processus serait équitable dans le pays demandeur, mais que l’exécution de la peine ne le serait pas, car elle pourrait conduire de manière irréversible à la mort du sujet concerné. Cette affirmation est encore plus grave que d’avoir clairement déclaré que la persécution de Julian Assange est politique et répressive du droit à la liberté d’expression, comme c’est réellement le cas du point de vue de la défense.

En bref, cette sentence disqualifie tout le mécanisme carcéral américain, comme l’a fait le même système judiciaire au Royaume-Uni il y a deux ans seulement, avec le cas de Lauri Love, des Anonymous, en refusant, pour la même raison, son extradition vers les U.S.A en février 2018.

Sept ans d’enfermement et de harcèlement.

La solidarité et l’équité du président Correa ont empêché qu’Assange soit remis à la Suède - sur une obscure accusation - lorsqu’il s’est réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres, qui a finalement été abandonnée sans charges et classée sans preuves, mais qui a fait naître la forte suspicion que tout cela n’était qu’une stratégie pour provoquer son extradition vers les États-Unis. C’était le but du jeu.

Il a passé sept ans à l’ambassade, dans une pièce sans soleil, sans air frais, souffrant de toutes sortes de maux physiques et psychologiques, et constamment espionné. Le changement de gouvernement en Equateur avec l’arrivée au pouvoir du président, Lenin Moreno, inféodé aux Etats-Unis, s’est traduit par l’expulsion de l’ambassade et l’entrée dans une prison de haute sécurité, et la menace de finir par détruire le journaliste, déjà dans un état fragile. Lors de ma dernière visite dans cette prison, lorsque nous nous sommes quittés, en larmes, après une longue accolade, j’ai vraiment craint pour sa vie et j’ai douté que la justice, dans le cas de Julian Assange, puisse être évaluée comme telle alors qu’aucun des événements graves qu’il avait dénoncés n’avait fait l’objet d’une enquête par le pays qui demande son silence.

Dans cette confrontation, le harcèlement s’est étendu à son environnement immédiat. Ses avocats ont également été l’objet d’espionnage par la société de sécurité espagnole (UC Global) présente dans l’ambassade équatorienne et prétendument liée aux services de renseignement américains, une question qui fait l’objet d’une enquête au Tribunal central d’instruction numéro cinq de l’Audience nationale espagnole. Même le bébé, le fils d’Assange, n’a pas été épargné par cette surveillance.

Tuer le messager.

Le grand péché que le journaliste a commis a sans aucun doute été de fonder WikiLeaks, l’agence de presse qui a mis en place un système de pare-feu dans les IP [adresse IP : Internet Protocol] afin que tout lanceur d’alerte dans le monde puisse envoyer des informations relatives à la commission de crimes, à cette plateforme. Les sources sont gardées anonymes. Des années plus tard, une directive européenne sur ces alertes est proposée dans les mêmes termes.
Tuer le messager a toujours été le recours des méchants, des criminels, de ceux qui ne savent pas cacher le mal qu’ils détiennent. Le silence est le remède qu’ils appliquent avec force dans la croyance que leurs péchés, ainsi, ne verront pas la lumière du jour. Parfois, ils réussissent, mais dans ce cas, le coup a mal tourné.

Assange n’était pas seul, des centaines de milliers de voix ont réclamé la liberté du journaliste dans le monde entier. Mais il est également vrai qu’il y a eu de nombreux mutismes officiels et des récusations personnelles inacceptables. Mais finalement, et pour l’instant, en attendant le recours le plus probable, justice a été rendue à un moment clé, lorsque Donald Trump, furieux de son statut de président sortant, donne son dernier souffle à toutes les questions qu’il peut résoudre avec son style dans les quelques - et longues - journées qui restent à la succession présidentielle. Je ne veux pas penser à ce que l’extradition d’Assange aurait signifié dans ces circonstances.
Je pense que le meilleur résumé a été fait par Noam Chomsky, dont nous avons lu le témoignage lors du procès devant le juge britannique. Selon le philosophe, Assange a rendu un énorme service à la liberté d’expression et à la démocratie.

"Le gouvernement américain cherche à le criminaliser pour avoir mis en lumière un pouvoir qui pourrait s’évaporer si le peuple saisissait l’opportunité de devenir les citoyens indépendants d’une société libre, plutôt que les sujets d’un maître opérant en secret".

C’est la gloire d’Assange et la misère de l’Amérique. Aujourd’hui, le messager vit encore. Et nous, ses avocats, continuerons à défendre le fait qu’il n’a fait son devoir de journaliste uniquement pour le bénéfice de tous.