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Affaire Kerviel : pour Eva Joly, « la thèse du trader fou ne tient pas »
/Mediapart - Martine Orange - 17 MARS 2014
Article mis en ligne le 18 mars 2014

Alors que la Cour de cassation doit se prononcer le 19 mars sur le pourvoi formé par Jérôme Kerviel, Eva Joly en tant qu’ancien juge d’instruction souligne les nombreuses zones d’ombre qui demeurent dans ce dossier.

Eva Joly regrette de ne pas s’être intéressée au dossier Kerviel plus tôt. « En 2008, au moment des faits, j’étais mobilisée sur la faillite des banques islandaises. En 2012, au moment du procès en appel, j’étais en campagne présidentielle », explique-t-elle. Ce n’est que plus tard, sur les sollicitations de ses amis et notamment de Julien Bayou, qu’elle a commencé à regarder le dossier. « Julien Bayou était très indigné. Il m’a poussée à me pencher sur le sujet. J’ai pris contact avec David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel. J’ai lu les pièces du dossier. Je crois que cette affaire est emblématique des dérives de la finance.

La thèse du trader fou, isolé, et agissant dans le dos de la banque, ne tient pas », dit-elle. Alors que la Cour de cassation doit se prononcer sur le pourvoi formé par Jérôme Kerviel, elle s’étonne des nombreuses zones d’ombre qui planent encore dans le dossier. (...)

Je tire de ces expériences passées la certitude que les bilans des banques ne sont pas nécessairement transparents, que les manipulations peuvent être fréquentes. La crise de 2008 a démontré que nous avons nourri des monstres. Les seules rémunérations des traders le prouvent, la démesure est absolue.

Dans le cas qui nous occupe, il ne faut pas oublier que la Société générale a été prise dans des scandales de blanchiment. À de multiples reprises, avant et après l’affaire Kerviel, elle a été condamnée par la justice pour le non-respect des règles : manipulation des taux interbancaires le 4 décembre 2013, faille dans le contrôle interne anti-blanchiment le 24 octobre 2012. Dans son rapport annuel de 2013, elle signale une dizaine d’affaires en cours. L’affaire du Sentier a démontré au moins que le contrôle interne ne fonctionnait pas. Tout cela m’amène à dire qu’on ne peut pas accepter leurs dires comme parole d’évangile.

Or, pour l’instant, on s’en tient à la version de la banque, sans en remarquer le côté hautement invraisemblable. Comment croire que personne n’a vu ce qu’a fait Jérôme Kerviel ? Quand il faut payer les appels de marge sur les positions qu’il a prises sur le Dax (indice boursier allemand) et Eurostoxx, ce n’est pas Kerviel qui le fait. Personne dans la banque ne s’étonne alors des millions, soit en collatéral, soit en numéraire, qu’il faut apporter en garantie pour couvrir les positions de Jérôme Kerviel ! Qui peut le croire ? (...)

Il faut une contre-expertise large pour déterminer comment les positions ont été débouclées, quelles contreparties étaient en face. Il faut aller voir les relevés de la chambre de compensation, qui a tout. Il faut vérifier aussi les positions prises par les filiales offshore de la Société générale.

J’ai déjà vu, notamment dans le cas des banques islandaises, des banques comme la Deutsche Bank qui ne faisait que du fronting, c’est-à-dire qui était en apparence la banque ayant pris des positions sur le marché islandais. Dans les faits, il est apparu que toutes ses positions étaient garanties par d’autres. La Deutsche Bank ne prenait aucun risque. Elle ne faisait que du portage. Qui peut dire que la Société générale n’était pas dans la même situation ? Ou n’a pas bénéficié de mécanismes protecteurs ? (...)

Au fond, soit la banque dit vrai et il s’agit d’une négligence coupable qui en dit long sur les dangers d’un système, soit la vérité est autre : la banque savait, et on est face à une affaire d’une ampleur phénoménale.
(...)