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Mediapart
Afghanistan : le spectre d’un nouveau sanctuaire terroriste
Article mis en ligne le 22 août 2021

Le retour au pouvoir des talibans suscite des craintes au sein des services de renseignement même si, paradoxalement, le principal risque que cela fait courir en France concerne la menace endogène, déjà existante. État des lieux.

En 2018, au lendemain de la chute du califat de l’État islamique à cheval sur la Syrie et l’Irak, les services de renseignement français considéraient qu’aucun théâtre du djihad n’offrait désormais « les caractéristiques d’un sanctuaire territorial » qui permettrait une relocalisation massive des djihadistes. La prise de Kaboul par les talibans ravive les craintes que l’Afghanistan ne redevienne ce sanctuaire, comme dans les années 1990, pour des groupes terroristes à visée internationale.

Mediapart a interrogé différents membres de la communauté du renseignement et un chercheur pour tenter d’évaluer ce que le retour au pouvoir des talibans changerait quant au risque terroriste. Évidemment, il convient de rester prudent du fait du peu de recul. (...)

Il y a ce que l’on peut considérer pour sûr : le nouveau règne des talibans ne bénéficiera pas à l’État islamique. La wilaya Khorasan, la branche de l’EI implantée en Afghanistan, est en guerre avec les étudiants en religion, la première reprochant aux seconds d’avoir traité avec l’ennemi américain afin qu’il se désengage ; les seconds déplorent les attaques contre la communauté chiite pratiquées par les membres de la première. Les différends se règlent à coups de kalachnikovs, d’attentats-suicides et, peut-être plus grave aux yeux des uns et des autres, d’accusations d’apostasie.
Une proximité avec Al-Qaïda

Il n’en va pas de même avec Al-Qaïda dont l’émir prête serment d’allégeance au mollah qui dirige les talibans, se plaçant de facto sous sa protection. Le régime taliban avait même été jusqu’à publier un communiqué à l’automne 2000 pour jurer qu’Oussama Ben Laden n’avait pu jouer aucun rôle dans l’attentat-suicide contre le navire militaire américain USS Cole dans le port d’Aden, alors que c’était bien lui qui avait commandité l’attaque. Par la suite, les étudiants en religion n’ont jamais condamné les attentats du 11-Septembre, ni voulu reconnaître, aujourd’hui encore, la responsabilité d’Al-Qaïda dans ces tueries de masse. (...)

Une proximité d’autant plus inquiétante que le 15 juillet dernier, l’organisation terroriste, par le biais de son organe médiatique As-Sahab, a diffusé une vidéo condamnant le blasphème incarné par les caricatures de Mahomet, ciblant la France tout au long de la vidéo. (...)

Pour autant, aucun de nos interlocuteurs n’imagine les talibans héberger Al-Qaïda ou d’autres organisations terroristes aussi ouvertement qu’ils le faisaient il y a vingt ans (...)

La crainte des représailles

Les accords de Doha du 29 février 2020 changent la donne. Les troupes américaines quittent l’Afghanistan en échange d’un engagement des talibans à ne pas accueillir d’organisations terroristes comme Al-Qaïda. « Les talibans connaissent la ligne rouge, souligne Marc Hecker. S’ils jouent la carte d’un soutien, même passif, ils s’exposent à des représailles massives, des bombardements. Et l’on voit bien que ces derniers jours, ils donnent des gages à la communauté internationale. Maintenant, il convient de rester vigilant, car entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font… »

Même écho au sein des services de renseignement. (...)

Si, selon les derniers rapports de l’ONU, on estime à près de 10 000 le nombre de combattants étrangers en Afghanistan, tous n’ont pas rejoint des organisations terroristes mais grossissent les rangs des étudiants en religion. On y trouve essentiellement des Ouzbeks, des Tadjiks, des Pakistanais. « La première menace que fait peser le retour des talibans est avant tout d’ordre régional », considère Marc Hecker.

En 2017, la DGSI estimait que si des filières existaient déjà, traversant la Turquie et l’Iran, et avaient été empruntées par des djihadistes ouzbeks de retour de Syrie, ces filières ne seraient accessibles qu’à un nombre limité de djihadistes, en raison « de conditions d’accueil et d’adaptation difficiles dans le tissu insurrectionnel afghan ». Une analyse toujours d’actualité, selon différents interlocuteurs. (...)

Et le risque d’un départ de djihadistes français vers le théâtre afghan, s’il est envisagé, est jugé peu crédible. Au moment de l’effondrement du califat de l’État islamique, les services de renseignement considéraient déjà une relocalisation en Asie improbable, le contingent français ayant déjà du mal à s’intégrer au bout de quatre ans au sein des populations syro-irakiennes.

Depuis, seulement trois Français, deux hommes et une femme, auraient rejoint l’Afghanistan en octobre 2017. Ils étaient au sein de la wilaya Khorasan où ils n’exerçaient aucun rôle actif, ce qui n’aurait pas empêché les deux hommes de trouver la mort ; en tout cas, ils sont à l’heure actuelle « présumés décédés » par les services.

Quant aux quelque 160 djihadistes français (hommes et femmes) circulant encore librement en zone syro-irakienne, une relocalisation en Afghanistan est envisagée avec scepticisme, ils ne bénéficient pas des réseaux de facilitation en mesure d’organiser leur déplacement (documents de voyage, financement du transport, maisons d’hôte, etc.).

Le risque le plus important, finalement, que fait peser le retour au pouvoir des talibans, au moins à court terme, consiste dans l’exaltation des djihadistes partout dans le monde. « On peut être sûr qu’il va y avoir un effet de propagande, cela va gonfler le moral des groupes terroristes », estime Marc Hecker. (...)

Un ponte de la lutte antiterroriste confirme : « On ne peut pas exclure que ce qui est vu comme un succès de l’islam radical suscite des vocations à l’intérieur de nos frontières. C’est inquiétant et nous sommes très attentifs à cet aspect, mais cela ne change pas fondamentalement la nature de la menace endogène que l’on connaît déjà. » (...)

Ces dernières années, l’Hexagone a surtout été frappé par un terrorisme endogène. Les terroristes étant des résidents, primo-terroristes souvent frustrés, car empêchés de se rendre en zone syro-irakienne, perpétrant leurs crimes avec des moyens limités, le plus souvent une arme blanche. La victoire des talibans, associée à un contexte français à fort retentissement émotionnel et symbolique – l’ouverture le 8 septembre à Paris du procès des attentats du 13 novembre 2015 –, fait craindre une nouvelle vague d’attentats.

Sans compter que plusieurs figures relevant de la première vague de djihadistes en France ont purgé leurs peines. (...)