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Alep : 4,7 Km trop longs à arpenter ?
Article mis en ligne le 30 octobre 2016

Des milliers de bombes larguées par les aviations russe et syrienne sont en train de ravager les quartiers est d’Alep avec la promesse, répétée à l’envi de fausses trêves en fausses trêves, de leur anéantissement final. Tous les jours nous parviennent des images d’écoles et d’hôpitaux ravagés, de civils ensanglantés, d’enfants morts. Mais on ne trouve personne à Paris pour parcourir 4,7 km. On ne trouve aucun syndicat, aucun parti politique, aucune ONG pour exiger le long de ces 4,7 km que cesse au plus vite ce massacre, ou au moins pour témoigner de notre humanité commune et d’un reste de solidarité entre les peuples. 4,7 km, c’est pourtant la distance idéale pour une manifestation, 4,7 km qui séparent l’ambassade de Syrie, rue Vaneau, et l’ambassade de Russie, boulevard Lannes.

Il y a évidemment mille raisons de ne pas manifester. D’abord, si l’on devait être complètement juste, il faudrait manifester aussi devant l’ambassade des États-Unis qui depuis cinq ans ne cessent de proférer des menaces jamais suivies d’effets à l’encontre de Bachar el-Assad et qui après avoir armé la rébellion syrienne l’abandonnent à la froide brutalité russe suivant des tractations diplomatiques sans doute monstrueuses — Alep contre Mossoul ? ; et encore devant l’ambassade d’Iran qui, directement et indirectement à travers le Hezbollah, soutient à bout de bras le régime syrien ; sans oublier l’ambassade d’une Turquie qui bombarde les forces kurdes et semble aussi avoir monstrueusement trafiqué des peuples avec Vladimir Poutine — Alep contre le nord de la Syrie ? En toute justice, le parcours d’une telle manifestation deviendrait bien trop long. Pire encore, il ne manquerait pas d’être légèrement embarrassant : les États-Unis, l’Iran, la Turquie, même la Russie, ne sont-ils pas les alliés de la France dans le combat contre Daech et pour libérer Mossoul ? Bien plus que des « alliés » face à Daech, tant leur niveau d’implication est sans commune mesure avec celui français… D’autant que de l’autre côté, qui s’agit-il effectivement de soutenir à Alep ? Il est très difficile de savoir aujourd’hui ce qu’est devenu exactement l’Armée syrienne libre (ASL) soutenue par le Front Fatah al-Cham affilié jusqu’à il y a peu à Al-Qaïda : sans doute le patchwork absolument improbable de rescapés du printemps syrien de 2011 avides de justice et de démocratie, d’alépins endurcis par cinq années d’une guerre civile atroce, de salafistes djihadistes dits « modérés », les uns étant soutenus voire infiltrés par l’Arabie saoudite, d’autres par le Qatar, d’autres encore par les États-Unis ou les services secrets turcs. De telles alliances de circonstances ne sont sans doute pas absurdes au vu des réalités du terrain et de la vaste « communauté du non » que la cruauté de Bachar el-Assad est parvenue à constituer contre lui, mais comment les soutenir de l’extérieur sans équivoque ? (...)

entre politique intérieure et politique extérieure, entre paix civile et paix entre les nations, entre guerre des races et guerre des classes, aujourd’hui tout se croise. Si l’on n’en prend pas acte et si l’on ne manifeste pas, qui aura encore le cœur, humain mais tout autant politique, d’aller manifester après le prochain attentat qui frappera la France ? Ce ne sera même pas seulement indécent d’un point de vue moral, ce sera ridicule politiquement au sens où au Moyen-Orient comme ailleurs demeure plus vraie que jamais la formule que l’on prête à Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Manifester, ce serait donc au moins affirmer cela : que l’on refuse d’avance ce cynisme de Cassandre contemplant toujours en surplomb le malheur des hommes.