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Jean-Marie Harribey pour Alternatives Economiques
Alerte ! Le créationnisme monte en économie
Article mis en ligne le 19 mai 2016
dernière modification le 16 mai 2016

Le chômage n’en finit pas de grimper et la précarité s’étend inexorablement. L’austérité aggrave la situation, tandis que les palliatifs – depuis l’invention du RMI jusqu’au RSA et aujourd’hui la PPA – ne réussissent ni à faire vivre décemment ceux qui sont privés d’emploi, ni à faciliter leur réinsertion. Une fois reconnue cette incapacité et admis le principe que tout individu doit avoir les moyens décents de vivre, verser un revenu de base inconditionnel serait-il une solution ou une fausse piste ? Plusieurs sujets méritent attention.[1]

Ce revenu de base qui veut en finir avec le travail !

On ne peut pas déconnecter la création de revenus du travail. Aucun revenu ne naît en dehors de la sphère du travail productif. Croire le contraire, c’est adhérer aux multiples fables de l’économie dominante. Pire, le risque est de renoncer à l’objectif du plein emploi de tous ceux qui souhaitent travailler, au motif que le travail ne serait plus un des facteurs d’intégration et de reconnaissance sociales. Cette erreur conduit à laisser le champ libre aux projets libéraux de dérégulation toujours accrue du « marché du travail », dès lors que la collectivité prendrait en charge un revenu de base, dispensant les employeurs de verser des salaires décents.

Pour être productive, toute activité doit recevoir une validation sociale. Pour être valeur, sous-entendu monétaire, le travail a besoin d’être validé, par le marché ou par décision politique. La décision d’apprendre à lire et écrire à tous les enfants ou de les accueillir dans une crèche municipale est suivie[2] d’un investissement public, d’une embauche de travailleurs qui vont produire la valeur des services répondant à cette demande sociale. Tandis que le lien social, les diverses valeurs d’usage créées par les activités libres des individus constituent sans aucun doute une richesse collective, mais sa transformation en valeur ne peut résulter d’un choix individuel.

La société peut instaurer un nouveau droit inconditionnel mais son respect sera subordonné à un transfert social, car un droit n’ajoute aucune valeur dans l’économie. Cela marquera une déconnexion entre travail et répartition mais pas entre travail et production, car tout revenu étant un droit d’accès aux biens et services produits, il faut que cette production soit effective. C’est pourquoi la proposition que la banque centrale verse des revenus aux citoyens n’a pas de sens puisque la production dont ils devraient résulter et qu’ils achèteraient n’existe pas. La proposition est certes plus généreuse que ce que fait le système bancaire qui inonde les marchés financiers de liquidités, mais elle ignore comment la monnaie est créée. Et, si elle peut bénéficier d’une oreille attentive de la part de certains libéraux plus malins que d’autres, c’est parce qu’elle permet d’éviter de poser la question de la nécessité d’un déficit budgétaire public, surtout par le biais d’une hausse des dépenses publiques. (...)

Droite et gauche favorables au revenu de base divergeraient par le fait que l’une remplacerait toute la protection sociale par quelques centaines d’euros par mois et que l’autre les ajouterait à la protection actuelle. Dans un cas, ce serait la misère pour tous les retraités et la santé réservée aux souscripteurs d’assurances privées. Dans l’autre, on doublerait presque les 700 milliards d’euros de transferts sociaux annuels en France et le total égalerait le revenu disponible des ménages.

Face au chômage, on ne pourrait qu’en prendre son parti ou invoquer la croissance forte, ou flexibiliser et précariser le travail, ou instaurer le revenu de base. La réduction du temps de travail associée à celle des inégalités est alors oubliée pour postuler la fin du travail avec la robotisation. Le travail disparaissant, y aurait-il génération spontanée de revenus ?

Le droit à la paresse serait sacré. Certes, mais quand je paresse ou quand je partage du lien social dans mon quartier, je n’engendre aucune valeur. Croire qu’une simple valeur d’usage équivaut à une valeur économique, c’est adhérer à la théorie de la valeur néoclassique. Cette idée à l’appui du revenu de base est à l’économie ce que le créationnisme est à la théorie de l’évolution. (...)

Au plan de la société dans son ensemble, travail et revenu sont indissociables. C’est pour cela qu’il faut les partager. La pauvreté ne sera pas vaincue en larguant des billets du ciel mais en refondant radicalement le modèle productif, l’organisation et la durée du travail, et la répartition des revenus, c’est-à-dire les rapports sociaux.