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Alerte ! Les océans manquent d’oxygène
Article mis en ligne le 8 juin 2020

La teneur en oxygène des flots marins chute radicalement depuis plusieurs années. Cette désoxygénation de l’océan — due au réchauffement climatique et aux rejets d’engrais agricoles — abîme la biodiversité marine... Et augmente les émissions de gaz à effet de serre. Mais les remèdes existent.

Les océans sont en danger. La pollution plastique présente dans la mer, phénomène bien connu et visible, en est une cause. Sous la surface, il existe une autre menace, tout aussi inquiétante : la désoxygénation des océans. Dans de nombreuses zones de la planète, la teneur en oxygène des flots marins chute radicalement depuis plusieurs années. D’après un article de la chercheuse américaine Denise Breitburg, publié en janvier 2018 dans la revue Science, les eaux côtières sont particulièrement touchées. Depuis 1950, plus de 500 sites ont été déclarés hypoxiques, c’est-à-dire en manque d’oxygène. Sur la même période, en haute mer, le volume d’eau anoxique — complètement dépourvue d’oxygène — a quadruplé. En tout, « l’océan global a perdu 77 milliards de tonnes d’oxygène au cours des 50 dernières années », alerte Denise Breitburg.

Pour comprendre la désoxygénation des océans, il convient de distinguer l’hypoxie provoquée par les activités humaines, et l’hypoxie normale. Car certaines régions marines sont naturellement pauvres en oxygène, notamment dans l’océan Pacifique. « Ce sont des zones productives de matière organique, comme les algues, dit Paul Tréguer, océanographe et professeur émérite à l’université de Bretagne occidentale. La matière organique sédimente dans les couches profondes. Il y a biodégradation avec oxydation de la matière organique, et donc consommation d’oxygène. Cela amène à des minimums d’oxygène dans l’océan, mais c’est tout à fait naturel et important. »

On appelle ces endroits les zones de minimum d’oxygène (OMZ). Ce sont les côtes du Pérou et du Chili, de la Namibie et de l’Afrique du sud, de la Somalie, le large des îles du Cap-Vert, du Mexique, la mer d’Arabie et le golfe du Bengale... Dans les espaces fermés, comme la mer Baltique et la mer Noire, les eaux profondes sont également naturellement hypoxiques, voire anoxiques, puisqu’elles ne bénéficient pas de l’apport en oxygène des courants marins généraux. (...)

Néanmoins, ce phénomène naturel s’aggrave depuis une cinquantaine d’années. « Cela s’explique en partie par le changement climatique (...)

Cette hypoxie d’origine anthropique a un impact important sur la biodiversité marine. Certaines espèces réussissent à migrer, tandis que d’autres n’ont pas cette capacité et ne peuvent pas survivre. C’est pour cette raison que les eaux appauvries en oxygène sont parfois appelées « zones mortes ». En outre, l’asphyxie des organismes marins a une influence sur leur fécondité, leur poids, leur taux de mortalité…

La désoxygénation des océans a également un impact à long terme sur l’environnement. (...)

Ainsi, l’hypoxie des océans, en partie due au changement climatique, contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

De surcroît, le résumé aux décideurs politiques du Global ocean oxygen network, publié en 2018, établit un constat alarmant : « Lorsque l’oxygène est complètement épuisé, les conditions anoxiques prévalent et la dégradation de la matière organique conduit à la production de sulfure d’hydrogène (H2S). Dans certaines régions d’upwelling [zones de minimum d’oxygène], le H2S est rejeté directement dans l’atmosphère et est reconnaissable à son odeur d’œuf pourri. » Ce gaz toxique tue massivement les poissons et les invertébrés, conduit les oiseaux à se nourrir d’espèces marines mortes flottantes, et provoque des malformations aux organismes vivants. La désoxygénation des océans a donc un grand impact sur les pêcheries locales des régions concernées, comme la Namibie, le Pérou, ou celles bordant la mer Noire. (...)

Perte de la biodiversité, impact sur l’économie des pays, émissions de gaz à effet de serre et de gaz toxique… La situation est grave. Mais elle pourrait rapidement s’améliorer, d’après l’océanographe Paul Tréguer : « Il n’est pas trop tard, c’est encore réparable. Il faut arrêter les rejets [de nutriments, présents dans les engrais], ou au moins les diminuer fortement dans un premier temps. C’est un objectif qu’on peut atteindre de façon réaliste, à l’échelle d’une décennie, et non pas de siècles. » L’océan retrouverait alors du souffle grâce au renouvellement des eaux côtières et aux courants marins. (...)

« Il nous manque de l’argent pour faire des campagnes, avoir plus de mesures d’oxygène dissous partout dans les océans, acheter des capteurs à mettre à l’eau… Pour voir ce qui se passe dans la durée, il faut une observation pérenne et régulière. Il y a une telle variabilité sur ces processus que ce ne sont pas quatre points de mesures qui vont raconter une histoire. Il faut vraiment qu’on puisse capter toute la tendance. »