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Mediapart
Amazon : le double discours de Le Maire
Article mis en ligne le 29 décembre 2020

Alors que le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, dénonce les géants du numérique comme les « adversaires des États », la Banque publique d’investissement passe des accords discrets avec Amazon. L’un d’eux lui donne un accès partiel aux données de près de 550 000 entreprises françaises éligibles aux prêts garantis par l’État.

S’il y a une firme américaine qui est constamment visée par des controverses, pour sa pratique d’évasion fiscale comme pour ses pratiques sociales, c’est assurément Amazon, beaucoup plus encore que les autres géants du numérique, qu’il s’agisse de Google ou d’Apple. Il ne se passe plus une semaine sans qu’une nouvelle polémique n’éclate, alimentée par les milieux culturels, ceux de l’édition par exemple, ou encore par l’association citoyenne Attac, qui a fait de la lutte contre l’évasion fiscale l’un de ses principaux chevaux de bataille.

Et pourtant, la firme américaine n’a visiblement rien à craindre des autorités françaises. C’est même exactement l’inverse (...)

Coup sur coup, la BPI vient en effet de passer, sans en faire la moindre publicité, plusieurs accords avec le géant américain, qui apparaissent pour le moins discutables. Ou, en tout cas, qui seront vivement discutés. Et même contestés.

On vient ainsi d’apprendre qu’Amazon qui, hormis son immense forte de frappe commerciale planétaire, est aussi un hébergeur géant, a construit une nouvelle plateforme en France, baptisée « L’accélérateur du numérique », qui « est destinée à accompagner pas à pas l’ensemble des entrepreneurs français dans leur transformation numérique et les aider ainsi à développer leur activité en ligne ». « Le programme couvre une large variété de sujets, du marketing à la logistique en passant par le choix de la stratégie de vente. L’accès au programme est gratuit, sur simple inscription », lit-on sur le site de la plateforme.

Et les PME intéressées par cette formation peuvent ensuite découvrir une foire aux questions (...)

C’est donc consigné noir sur blanc : la BPI a conclu un accord de partenariat pour installer Amazon au cœur du développement du numérique en France, et notamment l’activité numérique des entreprises. Mediapart a cherché à interroger Amazon au sujet de cet accord, mais nous n’avons obtenu aucune réponse. Une porte-parole de la BPI a accepté, elle, de nous donner sa version des faits. Contestant qu’il s’agisse d’un projet de partenariat en bonne et due forme, elle nous a expliqué que la BPI avait organisé l’été dernier une grande manifestation, sorte de cirque itinérant dans le pays baptisé « Big Tour », pour accompagner les entreprises et les aider à traverser la crise, avec l’appui de plusieurs sponsors. Et comme la manifestation aura de nouveau lieu l’été prochain, Amazon figurera parmi les sponsors de l’éditions 2021. Le groupe américain a demandé en contrepartie à profiter d’un espace de visibilité lors de cette manifestation itinérante pour présenter son « accélérateur du numérique » aux PME.

Même présenté de la sorte, cet accord risque d’alimenter la polémique. Dans une tribune publiée par le Journal du dimanche, Pierre Bonis et Alain Assouline, respectivement directeur général de l’Afnic (Association française pour le nommage Internet en coopération) et président du syndicat d’entrepreneurs Cinov Numérique, s’inquiètent de ce partenariat. (...)

« recommander Amazon par défaut, c’est faire preuve de mépris pour les acteurs français et ignorer la réalité de notre tissu économique. Faire des grandes plateformes LA solution au défi de la numérisation, sans jamais citer la possibilité de créer son propre site et ainsi construire son autonomie numérique, c’est envoyer les TPE et PME au casse-pipe. Leurs marges seront mangées par les royalties des plateformes. Leur relation client leur sera ôtée. La part de leur chiffre d’affaires réalisée en ligne, si elle augmente, les rendra prisonnières des conditions tarifaires des plateformes dans les bras desquelles la BPI les aura jetées, alors que mille options pertinentes existent. »

En clair, l’accord de partenariat soulève d’immenses questions, qui sont lourdes puisqu’elles touchent à la souveraineté numérique du pays. L’interrogation peut s’énoncer encore plus brutalement : créée dans le but d’assumer une mission de service public bancaire, la BPI est-elle dans son rôle en livrant les PME-TPE aux géants anglo-saxons du numérique au lieu de les aider à conquérir leur indépendance numérique ?

Mais la polémique qui s’annonce risque d’être beaucoup plus vive encore, car la BPI a visiblement conclu un accord beaucoup plus large avec Amazon. Un second projet a aussi été conclu avec le géant américain, qui va lui offrir les données sur de très nombreuses entreprises françaises, celles qui ont souscrit un prêt garanti par l’État (PGE). (...)

Il n’y a donc plus aucun doute sur la réalité de l’information puisque, absente du Sénat, le 16 décembre, jour des questions au gouvernement, Nathalie Goulet a demandé à son collègue Michel Canévet d’interpeller le premier ministre à ce sujet de sa part. Et en réponse, la secrétaire d’État Olivia Grégoire, en charge de l’économie solidaire, a confirmé qu’Amazon avait bien été chargé de ce contrat, tout en en minimisant la portée. (...)