
Kiev accuse l’ONG de faire le jeu de Moscou après la publication d’un rapport sur la mise en danger de civils dans la résistance armée ukrainienne.
Kiev n’a pas du tout apprécié la leçon. En voulant faire preuve de neutralité, Amnesty International s’est mis à dos les dirigeants ukrainiens mais aussi une large partie de la société civile du pays ravagé par la guerre depuis cinq mois. Dans un rapport publié jeudi 4 août, l’ONG affirme que les forces armées ukrainiennes mettent en danger la population civile.
Amnesty International relève au moins dix-neuf exemples où les forces armées ukrainiennes ont installé des bases et déployé des armes dans des zones résidentielles. En conséquence, les civils deviennent les victimes collatérales du barrage d’artillerie auquel la Russie soumet l’ensemble du front dans sa guerre de conquête. (...)
Très remonté, le président Volodymyr Zelensky a vivement critiqué dans son allocution vidéo quotidienne, dès jeudi soir, une « tentative d’amnistier un pays terroriste » qui place « la victime et l’agresseur d’une certaine manière sur un pied d’égalité ». (...)
De son côté, la vice-ministre ukrainienne de la défense, Hanna Maliar, a souligné combien l’ONG ignorait les réalités tactiques (...)
Vendredi 5 août, après avoir déjà pris ses distances avec le document, la directrice d’Amnesty International en Ukraine, Oksana Pokalchuk, a également annoncé sa démission sur sa page Facebook, en critiquant le fait que l’ONG n’avait pas souhaité intégrer l’équipe ukrainienne dans l’enquête. « Tout s’est écrasé contre le mur de la bureaucratie et la barrière de la langue des sourds, écrit-elle. Il ne s’agit pas d’anglais, il s’agit du fait que si vous ne vivez pas dans un pays envahi par des envahisseurs qui le déchirent, vous ne comprenez probablement pas ce que c’est que de condamner une armée de défenseurs. » (...)
Lire le rapport d’Amnesty International :
Ukraine. Les tactiques de combats ukrainiennes mettent en danger la population civile
Des bases militaires sont installées dans des zones résidentielles, notamment dans des écoles et des hôpitaux
Des attaques sont lancées depuis des secteurs habités par des civil·e·s
Ces violations ne justifient cependant pas les attaques menées sans discrimination par les forces russes, qui ont fait de nombreux morts et blessés parmi la population civile
Les forces ukrainiennes mettent en danger la population civile en établissant des bases et en utilisant des systèmes d’armement dans des zones résidentielles habitées, notamment des écoles et des hôpitaux, lors des opérations visant à repousser l’invasion russe qui a débuté en février, a déclaré Amnesty International le 4 août.
Ces tactiques de combat violent le droit international humanitaire et mettent gravement en danger la population civile, car elles transforment des biens de caractère civil en cibles militaires. Les frappes russes qui en ont résulté dans des zones habitées ont tué des civil·e·s et détruit des infrastructures civiles.
« Nous avons réuni des informations sur de nombreux cas où les forces ukrainiennes ont mis en danger des civil·e·s et violé les lois de la guerre en opérant dans des zones habitées, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Le fait de se trouver dans une position défensive n’exempte pas l’armée ukrainienne de l’obligation de respecter le droit international humanitaire. »
Toutes les attaques russes sur lesquelles Amnesty International a rassemblé des informations n’ont cependant pas été menées dans des circonstances semblables. En effet, Amnesty International a dans d’autres cas conclu que la Russie avait commis des crimes de guerre, notamment dans certains secteurs de la ville de Kharkiv, sans avoir trouvé d’éléments prouvant que les forces ukrainiennes s’étaient installées dans les zones civiles visées de façon illégale par l’armée russe.
Entre avril et juillet, une équipe de recherche d’Amnesty International a pendant plusieurs semaines enquêté sur les frappes russes dans les régions de Kharkiv, du Donbas et de Mykolaïv. L’organisation a inspecté les sites de frappes, interrogé des victimes, des témoins et des proches de victimes des attaques, et recouru à la télédétection et analysé des armes.
Lors de toutes ces investigations, les chercheurs ont trouvé des éléments prouvant que les forces ukrainiennes ont lancé des attaques depuis des zones résidentielles peuplées et qu’elles se sont aussi basées dans des bâtiments civils dans 19 villes et villages de ces régions. Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a analysé des images satellites afin de vérifier les informations recueillies sur le terrain.
La plupart des zones résidentielles où les soldats s’étaient installés se trouvaient à des kilomètres de la ligne de front. Ils auraient pourtant eu la possibilité de s’installer dans d’autres lieux qui n’auraient pas mis en danger la population civile, comme des bases militaires ou des zones densément boisées des environs, ou d’autres structures encore situées loin des zones résidentielles. Dans les cas sur lesquels Amnesty International a réuni des informations, à la connaissance de l’organisation, quand l’armée ukrainienne s’est installée dans des structures civiles dans des zones résidentielles, elle n’a ni demandé aux civil·e·s d’évacuer les bâtiments environnants, ni aidé les civil·e·s à les évacuer, s’abstenant ainsi de prendre toutes les précautions possibles pour protéger la population civile.
Attaques lancées depuis des zones civiles habitées
Des victimes et des témoins des frappes russes dans les régions du Donbas, de Kharkiv et de Mykolaïv ont dit aux chercheurs d’Amnesty International que l’armée ukrainienne menait des opérations près de leurs habitations au moment des attaques, ce qui exposait ces quartiers à des frappes de représailles des forces russes. Les chercheurs d’Amnesty International ont été témoins de ce comportement dans de nombreux endroits.
Le droit international humanitaire prévoit que toutes les parties à un conflit doivent éviter de positionner, dans toute la mesure du possible, des objectifs militaires dans des zones densément habitées ou près de ces zones. D’autres obligations existent visant à protéger les civil·e·s des conséquences des attaques, comme l’obligation d’éloigner les civil·e·s du voisinage d’objectifs militaires et l’obligation d’alerter efficacement sur des attaques qui risquent de nuire à la population civile. (...)
La pratique de l’armée ukrainienne qui consiste à placer des objectifs militaires dans des zones habitées ne justifie en aucun cas les attaques menées sans discernement par les forces russes. Toutes les parties à un conflit doivent en toutes circonstances faire la distinction entre les objectifs militaires et les biens de caractère civil et prendre toutes les précautions possibles, y compris en ce qui concerne le choix des armes, pour réduire le plus possible les préjudices subis par la population civile. Les attaques menées sans discrimination qui tuent ou blessent des civil·e·s ou endommagent des biens de caractère civil constituent des crimes de guerre. (...)
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« Amnesty International regrette profondément la détresse et la colère provoquées par notre communiqué de presse sur les tactiques de combat de l’armée ukrainienne », écrit l’ONG dans un courriel à Reuters.
« La priorité d’Amnesty International dans ce conflit, comme dans tout autre conflit, est de veiller à ce que les civils soient protégés. En effet, ceci est l’unique objectif de la publication de ce dernier rapport. Tout en maintenant entièrement nos conclusions, nous regrettons la douleur causée. » (...)