Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Slate.fr
Après l’offensive turque sur la région kurde d’Afrin, au nord-ouest de la Syrie, entretien exclusif avec le journaliste turc Fehim Taştekin, menacé et en exil.
« Tout le monde sait que les Turcs ne repartent pas facilement d’où ils sont entrés »
Article mis en ligne le 22 février 2018

« Lutter contre un potentiel terroriste à la frontière turque », d’accord, mais si cette opération « s’avérait prendre un autre tour » et que « c’était une opération d’invasion », cela « poserait un problème réel à la France », a confié le président Macron au Figaro le 30 janvier, dix jours après qu’Ankara a lancé une offensive militaire sur la région kurde d’Afrin, au nord-ouest de la Syrie.

Comment cette offensive turque est-elle vue d’Ankara et de Damas, mais aussi de Moscou, de Téhéran et de Washington ? (...)

Entretien avec le journaliste turc Fehim Taştekin, l’un des bons connaisseurs du terrain. Menacé de mort par des groupes djihadistes en Turquie et en Syrie, il est également sous le coup de plusieurs procédures judiciaires en Turquie pour ses articles sur la crise syrienne ainsi qu’à propos du président Erdoğan qu’il a suivi de près et de l’intérieur de la mouvance islamique dès les années 1990. Fehim Taştekin vit désormais en exil, où nous l’avons rencontré.

Depuis le 20 janvier, l’armée turque conduit une vaste offensive militaire aérienne et terrestre au nord-ouest de la Syrie sur Afrin, l’une des trois régions autonomes kurdes du Rojava. Pourquoi ?

Cette offensive est liée à la question kurde mais également au projet obsessionnel du gouvernement turc pour la Syrie. Erdoğan a commis beaucoup d’erreurs depuis 2011, à cause desquelles de nombreux groupes djihadistes ont émergé dans notre région et s’y sont implantés. Il n’est parvenu ni à faire tomber Assad, ni à installer les Frères musulmans en Syrie. Alors, pour rester dans le jeu, il a décidé d’entrer en Syrie avec pour motivation première d’empêcher la formation d’une autonomie dirigée par les Kurdes : le Rojava, au nord de la Syrie et dont Afrin constitue le canton le plus à l’ouest.

Déjà en 2016, lors de l’opération « bouclier de l’Euphrate » à Jarablus au nord de la Syrie, l’armée turque avait stoppé la progression des Unités de protection du peuple [YPG, kurde], l’aile militaire du Parti de l’union démocratique [PYD, le frère syrien du PKK] alors qu’elles cherchaient à relier le canton de Kobane à celui d’Afrin. Ce succès a permis à Erdoğan de marquer un point sur l’échiquier syrien. La Russie, l’Iran, les États-Unis ont alors compris qu’ils devaient tenir compte de la Turquie. (...)

Afrin est une base solide du mouvement ocalaniste et du Parti de l’Union démocratique [parti kurde syrien, PYD]. Ce qui veut dire que la Turquie va y faire face à une résistance féroce. Les Turcs disent : « Nous ne nous battons pas contre les Kurdes mais contre une organisation terroriste ». Mais ce n’est pas le « problème d’une organisation » qui se pose ici. La population est largement en faveur du PYD. Et les gens, même s’ils ne soutiennent pas le PYD, prennent les armes pour protéger leur terre et leurs maisons. C’est pourquoi on ne peut comparer le PYD et l’organisation État islamique. Les djihadistes de l’EI sont pour la plupart des étrangers, les Kurdes eux sont locaux : c’est très différent. Depuis le 20 janvier, l’armée turque a déjà perdu trente-sept soldats et 194 combattants de l’« Armée syrienne libre » [ASL] selon certaines sources. Les choses ne vont donc pas aussi bien qu’Erdoğan l’avait annoncé. (...)

De nombreux groupes participent à ces opérations dont certains comprennent des anciens membres d’Al-Quaïda, des djihadistes salafis, une variété d’islamistes dont des Frères musulmans, des mercenaires et quelques volontaires. Ce qui les unit, ce sont des idéologies et des attitudes défavorables aux Kurdes.

Et puis le pouvoir islamo-nationaliste d’Erdoğan a créé sa propre milice turque : une société de sécurité privée, appelée Sadat. Elle forme, équipe et conseille les combattants syriens qui se battent pour le compte du gouvernement turc. (...)