
L’ « affaire Kerviel » est tirée du nom de l’ex-trader, inculpé pour avoir fait perdre près de cinq milliards d’euros à son ancien employeur, la Société Générale. Le 19 mars dernier, la justice a confirmé sa peine de prison (trois ans ferme) mais elle a, surtout, effacé les dommages et intérêts stratosphériques réclamés à Jérôme Kerviel par la banque. Évidemment, Acrimed n’entend pas se prononcer sur le fond judiciaire de cette affaire : la culpabilité, ou non, de Jérôme Kerviel ; la coresponsabilité, voire la complicité, ou non, de la haute hiérarchie de la Société Générale : une banque dont la responsabilité proprement économique et sociale n’est que trop évidente.
En revanche, il y aurait beaucoup à dire sur la bulle médiatique entourant le condamné depuis qu’il a entamé une « longue marche » au départ du Vatican il y a déjà plusieurs semaines ; iTélé et BFMTV, notamment, scrutant ses gestes et enregistrant le moindre de ses soupirs. Un spectacle poignant clos par son arrestation, dimanche 18 mai vers minuit, à son retour en France. Quelques heures plus tôt, le JT de France 2, n’hésitant pas à en faire l’évènement du jour, ouvrait sur les tribulations de l’ex-trader… (...)
On s’étonnera d’abord d’entendre une journaliste fustiger ainsi « une stratégie de communication » qu’aucun média, le JT de France 2 en premier lieu, n’était obligé de relayer avec autant de zèle s’il l’estimait aussi nulle que non avenue…
Ensuite, si dans cette histoire la communication est une arme, on ne saurait exclure qu’elle soit utilisée aussi du côté de la Société Générale. Du côté de Kerviel, cela passe par les images et cette marche de la rédemption, ardemment suivie par les médias, qui collent l’homme tel un essaim d’abeilles. En face, bien que les moyens financiers soient autrement colossaux, on ne saura pas combien de conseillers et autres stratèges sont mobilisés par la Société Générale pour faire valoir (aussi efficacement) son point de vue et son argumentation – à moins qu’il ne s’agisse de… communication – qui ne varie pas d’un iota : la banque a été trompée, il était impossible de flairer les imprudences de Kerviel, et donc, elle n’est coupable de rien.
Pourtant, comme l’a notamment démontré Martine Orange, de Mediapart, dans plusieurs enquêtes fouillées, l’affaire ne semble pas se limiter pas à la seule responsabilité de Kerviel [1]. Mais, curieusement, nulle mention de ces zones d’ombre dans le JT de France 2. Les journalistes de la chaîne publique n’ayant pas enquêté par eux-mêmes pour avaliser l’une ou l’autre versions de l’affaire, on serait en droit d’attendre qu’ils se montrent plus prudents et moins affirmatifs, en tout cas plus impartiaux. (...)
Que peut retenir le téléspectateur du traitement, en à peine plus de trois minutes, de cette affaire passablement complexe ? À coup sûr que tout est limpide, incontestable et gravé dans le marbre : la Société Générale, à peine mentionnée dans cette double séquence du JT de France 2, en ressort immaculée, alors que la défense de Jérôme Kerviel est présentée comme une coquille vide uniquement basée sur des coups d’éclat médiatiques.
Quid de la sanction infligée à la Société Générale par la Commission bancaire en 2008 ? Quid de la récente annulation des dommages et intérêts que Kerviel avait été condamné à verser à son employeur en première instance ? Quid du silence de certains témoins motivé par la peur des représailles, évoqué par Mediapart ? Autant de points qui, sans exonérer Jérôme Kerviel de quoi que ce soit, permettraient d’apporter un éclairage moins unilatéral sur l’affaire et sur les pratiques spéculatives à la Société Générale, et qui pourtant, ne seront pas portés à la connaissance des téléspectateurs du service public…
Il faut dire que les autres médias ne semblent guère faire mieux. (...)