
Reconnaissons au moins ce mérite au monde du travail : il produit des pathologies professionnelles sans cesse renouvelées, résultant du caractère protéiforme des tortures qui sont infligées au salarié. Cousin éloigné de l’antique bûcher, le burn-out, cette « consumation » par excès d’investissement, est désormais entré dans le langage courant. Le mail professionnel reçu à 1 heure du matin – et auquel on se sent obligé de répondre – participe de cette dynamique crématoire qui finira par transformer l’employé trop zélé en petit tas de cendres fumantes.
Si, en revanche, votre entreprise ne vous donne rien à faire, vous risquez alors d’être aspiré dans un tourbillon de vacuité que l’on nomme le bore-out. Nous ne sommes pas loin, dans ce cas, d’une forme de réinterprétation des oubliettes médiévales, où l’on tentait vainement de tromper l’ennui en jouant au morpion avec les os de ses prédécesseurs.
Baisse de courant psychique
A côté de ces deux formes chatoyantes de négation de l’individu, par le feu de l’hyperactivité et par le rien, il faut en ajouter une troisième, qui émerge aujourd’hui telle une nouvelle évidence. Son nom ? Le brown-out. Cette baisse de courant psychique peut être envisagée comme une sorte de dévitalisation provoquée par l’absurdité quotidienne des tâches à accomplir. (...)
La pire part de soi-même
Au final, toutes ces actions répétées qui heurtent vos valeurs profondes fertilisent le terrain du brown-out et conduisent à votre désinvestissement progressif. Ce mouvement de retrait est logique lorsque l’on constate que la vie de bureau sollicite non pas la meilleure, mais la pire part de soi-même.
Dans leur ouvrage The Stupidity Paradox (Pearson, non traduit), les chercheurs britannique et suédois André Spicer et Mats Alvesson étudient cette mécanique surprenante qui veut que les entreprises recrutent des diplômés brillants pour exiger d’eux, au final, qu’ils mettent leur cerveau en sommeil. Ces jeunes travailleurs qui s’attendaient à des tâches stimulantes se retrouvent alors à faire la danse du Powerpoint pour tenter d’hypnotiser les clients, dans un climat intellectuel para-prostitutionnel.
Concassage de l’individu (...)