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Argentine : l’expérience d’un journal « récupéré » et autogéré (entretien)
Article mis en ligne le 22 mai 2013

En Argentine, dans la foulée de la débâcle économique et financière de 2001 et face à la menace de fermeture ou de faillite, des travailleurs de différents secteurs se sont organisés pour occuper puis récupérer leurs entreprises et les remettre en marche sous gestion collective [1]. Outre la dimension autogestionnaire, quels sont les enjeux et les difficultés lorsqu’une récupération concerne une entreprise de presse, et en particulier, lorsqu’elle se déroule autour d’un journal ?

Sergio Stocchero, documentariste et journaliste argentin au Diario del centro del país de Villa María (Province de Cordoba) nous a accordé l’entretien suivant dans lequel il revient sur plus de dix ans d’expérience du journal sous la forme coopérative et sur la portée du mouvement de démocratisation des médias audiovisuels entamé en Argentine. (...)

Nous avons donc trouvé le moyen de maintenir le conflit dans la rue en évitant que le journal ne s’arrête. Nous avions dressé une tente devant l’immeuble, organisé des soupes populaires… Nous occupions les locaux de peur que les patrons ne viennent et ne ferment tout. Nous nous sommes emparés de la rotative, l’emblème de tout le rouage [2]. De là, des artistes de rue se sont joints à notre protestation, ils sortaient déguisés ou sur des échasses pour répartir des tracts qui expliquaient à la population ce qui était en train de se passer. Il nous fallait expliquer aussi aux autres médias, radiophoniques et télévisuels, car d’une certaine manière, notre journal avait la caractéristique à Villa Maria d’être celui qui donnait le ton.

Vers les derniers jours de novembre, les patrons ont appelé la police, mais il n’y eut pas de répression [à la différence d’autres expériences de récupération] car la police comprenait la revendication des travailleurs. Pendant ce temps, un de nos compagnons qui voyageait à Cordoba, s’est mis en relation avec les syndicats. « El Negro Espinola » nous a ensuite soumis l’idée de la coopérative. C’est comme ça, qu’entre les syndicats et le représentant du Ministère du travail de Villa Maria, il y eu une certaine pression sur les patrons pour qu’ils acceptent l’idée de la coopérative. (...)

La Cooperativa Comunicar, éditrice du Diario del centro del País est une coopérative de travail [à la différence d’autres coopératives] ; le seul capital dont nous disposons, c’est notre travail, en dehors des machines évidemment. Nous avons commencé à 32 travailleurs avec un tirage de 1200 exemplaires de 32 pages ; aujourd’hui, nous sommes 54 associés qui imprimons chaque jour entre 6 et 7 000 exemplaires d’un minimum de 56 pages. Au début les locaux nous étaient prêtés, aujourd’hui nous avons construit un bâtiment propre.

Nous élisons un conseil d’administration composé de 7 conseillers et de 2 syndics. Ce conseil est renouvelé partiellement chaque année. (...)

Nous avons décidé de maintenir ce que nous appelons des réunions de « vivre ensemble » (convivencia) dont les décisions sont ensuite retranscrites lors de l’assemblée générale annuelle, ce qui nous conduit en quelques sorte à une situation d’assemblée permanente, et ainsi, le conseil d’administration est soumis à la volonté de la majorité.
(...)

il existe dans notre ligne éditoriale un cap concret et qui ne se discute pas, c’est que, de par la nature de notre organisation, nous nous devons de promouvoir tout ce qui a trait à des mouvements ou des associations solidaires et les valeurs coopératives ou associatives.

Notre engagement est toujours envers le lecteur, ce qui nous oblige à pratiquer un pluralisme total. D’ailleurs, les portes sont ouvertes à qui veut s’exprimer dans le journal. Certains nous critiquent en disant que nous n’avons pas de ligne éditoriale, nous répondons que c’est précisément là, notre ligne éditoriale, où tous peuvent bénéficier du même espace : « si les gens veulent débattre, qu’ils le fassent, mais qu’ils le fassent au sein du journal ! ». Nous essayons de refléter ce qui se passe dans la ville : en ce sens, c’est un journal très local ou régional.
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Nous ne signons que les articles d’opinion. La vedette c’est l’information et non celui qui l’écrit. C’est pour cela qu’on ne signe pas. Ce n’est pas la plume du rédacteur qui importe, mais l’activité dont on se fait l’écho. Bien sûr, c’est encore mieux si celui ou celle qui a écrit l’article a une bonne plume ! Mais avant tout, c’est destiné au lecteur, ce n’est pas pour alimenter le prestige personnel [d’un rédacteur], sinon collectif, du journal. (...)

nous bénéficions d’une indépendance totale : nos ressources proviennent de la publicité de commerçants et non de paiements institutionnels, et de tout ce que nous appelons « services », à savoir les petites annonces, la section « sociale » [l’équivalent du bottin mondain au plan local], etc. Les seules petites annonces que l’on ne fait pas payer, ce sont celles où les gens offrent leur travail, les demandes d’emploi. Celles-ci sont gratuites. (...)

il nous arrive d’avoir des problèmes avec des annonceurs. Par exemple, un citoyen un peu connu a eu une très mauvaise expérience avec une chaine de supermarché. Il est allé au procès, l’a gagné et nous l’avons relaté dans le journal. Le supermarché s’est alors retourné contre nous et a supprimé sa publicité. Mais comme notre journal est quasiment incontournable sur le plan local, la chaine de supermarché a finit par revenir nous acheter des espaces publicitaires.

Il arrive qu’il y ait des discussions entre nous [sur ce sujet ou l’opportunité d’un annonceur], mais nous gardons en tête que notre fidélité est à l’égard du lecteur et du citoyen. (...)


Fédération de coopératives, Ley de medios et médias du tiers secteur
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