
"L’Éducation Nouvelle porte un projet d’émancipation et de démocratisation. Toute éducation est politique car elle contribue à forger la société à venir."
Manifeste – convergence(s) pour l’éducation nouvelle
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La Biennale s’est ouverte par un discours de Jean-Luc Cazaillon qui insistait sur la dimension politique des pédagogies nouvelles dans une société de contrôle et de coercition voyant un retour en puissance de l’extrême-droite et de la guerre, mais aussi faisant face à la privatisation des systèmes éducatifs. Elles sont un outil – et cela fait consensus au sein de Convergences – pour bâtir une société plus juste, plus solidaire et écologique. Dont acte.
La pédagogie est politique, dont acte. Il va falloir désormais s’atteler à l’outiller politiquement.
En effet, bien qu’on insiste sur les « questions qui nous rassemblent » et que nous créions des Convergences, la Biennale fut aussi un moment de conflictualité à bas bruit. Comme je pense que le conflit est souvent vecteur de réflexion et de transformation, il me semble intéressant de s’en faire l’écho plutôt que de le laisser dans les chuchotements silencieux du public ou dans les discussions de couloir. Car oui, il y a débat. Notons pour l’avenir : il s’agira aussi de réfléchir aux dispositifs d’expression et de réflexions au sein des futures rencontres. Comment permettre aux dissensus, en tant qu’il nous oblige à penser et à avancer ensemble, de s’exprimer tout au long de la Biennale ? Il est fort à parier que le format conférence, mais aussi certaines « démarches » de réflexions collectives, ne le favorisent pas. Bref, comme le disait Jean-Luc Cazaillon, il s’agit de « retrouver l’art des débats partagés ».
Ce débat, il s’est peut-être mis au jour dans la différence de ton et de langue, entre les trois interventions en plénière. Ce débat, il se formule dans l’écart entre le discours de Bernard Charlot (ouverture) et Philippe Meirieu (clôture) d’un côté (qui disaient globalement la même chose) et Laurence De Cock de l’autre. D’ailleurs, Laurence De Cock l’a rappelé : l’histoire de l’éducation nouvelle est conflictuelle et politique ( et son récit aussi manifestement).
Les deux hommes ont rappelé à la fois l’importance de l’universalisme et l’importance de ne pas « essentialiser » voire de refuser l’idée de « nature humaine » (parce que ça amène au sexisme ou au racisme). Cependant, les deux hommes ont bercé l’auditoire d’un humanisme abstrait, teinté par la peur d’une société en perte de repère. « Jamais l’individu n’a été aussi libre mais le sujet aussi abandonné » s’auto-cite Bernard Charlot. Nous serions dans une société soumise à « l’injonction à la pulsion infantile permanente » s’indigne quant à lui Philippe Meirieu. Pour les deux intellectuels, la problématique contemporaine est celle de la norme : « comment gérer aujourd’hui les relations entre le désir et la norme ? » demande Bernard Charlot. Comment trouver des « normes émancipatrices » , c’est-à-dire être non pas du côté de la norme, mais de la « normativité » – de la norme co-construite, questionne quant à lui Philippe Meirieu. Dans les deux cas, leur critique sociale s’inspire d’une critique psychanalytique un peu vague de la société de consommation, faisant in fine une critique morale de la société contemporaine.
La psychanalyse et la morale sont-elles cependant des outils adéquats pour penser le monde ? (...)
Laurence De Cock, lors de son intervention de clôture de la Biennale, nous a raconté le congrès de l’éducation nouvelle de 1932. En pleine crise économique, Freinet arrive « ronchon ». Il arrive dès le début avec des questions et des exigences : il veut politiser le mouvement, l’ancrer à gauche. L’historienne reprend les questions que pose le pédagogue au congrès : il faut « peut-être nous demander si l’éducation nouvelle a la capacité à répondre à la scolarisation de masse ». Puis, elle explique : c’est une « vraie question parce que l’éducation nouvelle n’est pas uniquement Célestin Freinet dans l’école publique, c’est aussi l’école privée, c’est aussi des écoles à un demi SMIC par mois, c’est aussi l’école des Roches, et ça, ce n’est pas une éducation de masse ». « Il y a des critiques qui sont faites à l’éducation nouvelle, et une critique qu’il ne faut pas évacuer […] Lorsque des sociologues nous montrent que certaines pratiques qui se revendiquent de l’éducation nouvelle sont susceptibles de participer à la construction et à la reproduction des inégalités scolaires. Qu’est-ce qu’on fait de cette critique ? Elle fait mal cette critique. […]
Certains d’entre vous ne l’ont pas très bien vécu, et je le comprends car c’est une attaque lourde. […] Il faut que l’éducation nouvelle dans sa globalité et sa pluralité, aille aussi tendre la main vers la sociologie de l’enfant, vers tout ce qui nous éclaire sur les déterminations sociales. […] Vers ces travaux qui nous montrent que quelque soit notre niveau de bienveillance, il y a des différences de proximité avec la culture scolaire, avec la culture légitime […] Bien sûr, nous disons « Tous capable », mais nous ne sommes pas des magiciens, il y a des choses qu’on ne peut pas régler sans aller voir dans d’autres travaux et surtout ceux de la sociologie. » (...)
Armer politiquement l’éducation nouvelle, c’est peut-être ainsi rendre centrale la question des inégalités et ne pas se laisser illusionner par nos propres slogans. « Tous capable », « méthode naturelle », « culture de paix »… autant d’idéaux-régulateurs qu’il faut savoir ne pas confondre avec l’amère réalité sociale des enfants du peuple d’aujourd’hui, sous peine comme le répète sans cesse Meirieu citant Oury, de ne penser nos pédagogies que pour des « petits Emile au cul rose », c’est-à-dire pour les enfants de la bourgeoisie et de la « petite bourgeoisie culturelle ».
Travailler politiquement l’éducation nouvelle semble par ailleurs la réponse la plus évidente à une question posée à la fin par les rapporteurs/ses de l’atelier 20 sur l’avenir de Convergence. (...)
Soyons toujours, comme le disait Philippe Meirieu, des « attrapeurs de nuages ». Nos utopies sont-elles les mêmes que celles de 1921 ? Attrapons-nous les mêmes cumulus que Ferrière justement épinglé par Bernard Charlot pour son sexisme ? En découvrant des mots nouveaux, on explore non seulement des analyses du réel, mais aussi des imaginaires. Les mouvements sociaux regorgent d’utopies nouvelles : des féminismes de marronnage sur fond de Jin, Jiyan, Azadî, des écologies queer qui bricolent des relations nouvelles au vivant, des ZAD autonomes dans nos banlieues dortoirs, des écoles autogérées et des circonscriptions pirates, des amours révolutionnaires dans des villes décolonisées, des cabines téléphoniques gratuites et confortables pour passer notre temps libéré du travail à parler à nos copines… Dans quel autre endroit que les luttes sociales, s’expérimente quotidiennement ce que Meirieu appelle « la normativité », ou pour être plus clair, quels autres espaces que celui des mouvements sociaux détruisent et reconstruisent en permanence de nouvelles normes, avec cet inconfort et cette joie de « forger la société à venir » ?