La Woolwich Crown Court est conçue pour imposer le pouvoir de l’État. Habituellement les tribunaux dans ce pays sont des bâtiments publics, délibérément placés par nos ancêtres en plein centre des villes, presque toujours à quelques pas d’une rue principale. Le but de leur positionnement et de leur architecture était de faciliter l’accès du public, estimant qu’il est vital que la justice soit visible par ce dernier.
Le tribunal de Woolwich, qui abrite le tribunal de première instance de Belmarsh, est construit sur un principe totalement opposé. Il est conçu dans le simple but d’exclure le public. Rattaché à une prison située dans un marais balayé par les vents, loin de tout lieu social, une île accessible en naviguant dans un labyrinthe de routes à double-voie ; l’emplacement et l’architecture du bâtiment sont conçus pour restreindre l’accès du public.
Il a précisément la même relation avec l’administration de la justice que Guantanamo Bay ou la Lubyanka. Elle n’est en réalité que l’aile de condamnation de la prison de Belmarsh.
Lorsqu’il s’est renseigné sur les possibilités de participation du public à l’audience, un militant d’Assange s’est fait dire par un membre du personnel du tribunal que nous devrions nous rendre compte que Woolwich est un "tribunal antiterroriste" (...)
L’une des conséquences est que, dans la salle d’audience elle-même, Julian Assange est confiné au fond du tribunal derrière un écran de verre pare-balles. Il a fait remarquer à plusieurs reprises durant la procédure qu’il lui était très difficile de voir et d’entendre les débats. La magistrate, Vanessa Baraitser, a choisi de considérer cela, avec une mauvaise foi évidente, comme un désagrément causé par le bruit des manifestants à l’extérieur, et non par le fait qu’Assange est enfermé à l’écart du tribunal dans une énorme boîte de verre pare-balles.
Maintenant, il n’y a plus aucune raison pour qu’Assange se trouve dans cette boîte conçue pour contenir des terroristes extrêmement violents. (...)
la lâche et malveillante Baraitser a refusé les demandes répétées et persistantes de la défense pour qu’Assange soit autorisé à s’asseoir avec ses avocats. Baraitser n’est bien sûr qu’une marionnette, supervisée par la magistrate en chef Lady Arbuthnot, une femme tellement enracinée dans l’establishment des services de défense et de sécurité que je ne peux concevoir que son implication dans cette affaire ne soit pas corrompue.
Peu importe à Baraitser ou Arbuthnot s’il est justifié qu’Assange soit incarcéré dans une cage pare-balles ou si cela l’empêche de suivre une procédure judiciaire. L’intention de Baraitser est d’humilier Assange, et de nous inspirer de l’horreur face à l’énorme pouvoir de broyage de l’État. La force implacable de l’aile des condamnations de la cauchemardesque prison de Belmarsh doit être maintenue. Si vous êtes ici, vous êtes coupable.
C’est la Lubyanka. Vous ne pouvez être qu’un prévenu. Il ne peut s’agir que d’une audience, pas d’un procès. (...)
Vous accepterez peut-être mieux ce que je dis de la Cour quand je vous dis que, pour une audience suivie dans le monde entier, ils l’ont amenée dans une salle d’audience qui avait un nombre total de seize sièges disponibles pour les membres du public. 16. Pour être sûr d’avoir l’une de ces seize places et de pouvoir être votre homme dans la tribune, j’étais à l’extérieur de cette grande clôture de fer fermée à clé, faisant la queue dans le froid, l’humidité et le vent à partir de 6 heures du matin. À 8 heures du matin, la porte était déverrouillée et j’ai pu entrer dans la clôture pour faire une autre queue devant les portes de la salle d’audience, où, malgré le fait que des avis indiquent clairement que la cour est ouverte au public à 8 heures, j’ai dû faire la queue à l’extérieur du bâtiment pendant encore une heure et quarante minutes. Ensuite, j’ai dû passer par des sas blindés, par une sécurité de type aéroport, et faire la queue derrière deux autres portes verrouillées, avant d’arriver enfin à mon siège au moment où le tribunal commençait à 10 heures. À ce stade, nous aurions dû être complètement intimidés, sans compter que nous étions trempés et risquions l’hypothermie.
Il y avait une entrée séparée pour les médias et une salle de presse avec transmission en direct de la salle d’audience. Il y avait tellement de médias que je pensais pouvoir me détendre et ne pas m’inquiéter car les faits de base seraient largement diffusés. Mais je n’aurais pu me méprendre davantage. J’ai suivi les arguments très clairement à chaque minute de la journée, et pas un seul des faits et arguments les plus importants aujourd’hui n’a été rapporté dans les médias grand public. (...)
J’ai donc beaucoup de travail à faire pour que le monde sache ce qui s’est réellement passé. Le simple fait d’être un témoin honnête est soudain extrêmement important, alors que l’ensemble des médias ont abandonné ce rôle.
James Lewis a fait la déclaration d’ouverture pour l’accusation. Elle se composait de deux parties, toutes deux également extraordinaires. La première partie, la plus longue, était vraiment remarquable car elle ne contenait aucun argument juridique et s’adressait non pas à la magistrate mais aux médias. Il n’était pas seulement nécessaire que ces remarques leur soient destinées, il fallait aussi les déclarer à deux reprises, et dire spécifiquement qu’elle était répétée, car il était important que les médias la saisissent.
Je suis franchement étonné que Baraitser ait permis cela. Il est tout à fait inadmissible qu’un avocat adresse des remarques non pas à la cour mais aux médias, et il ne pourrait y avoir de preuve plus claire qu’il s’agit d’un procès politique à grand spectacle et que Baraitser en est la complice. (...)
Les points que Lewis souhaitait faire connaître aux médias étaient les suivants : il n’est pas vrai que les grands médias comme le Guardian et le New York Times sont également menacés par les accusations portées contre Assange, car ce dernier n’était pas accusé de publier les câbles mais seulement de publier les noms des informateurs et d’aider Manning à pirater l’ordinateur. Seul Assange avait fait ces choses, et non les grands médias.
Lewis a ensuite lu une série d’articles des grands médias attaquant Assange, comme preuve que les médias et Assange n’étaient pas dans le même bateau. (...)
Il s’agissait d’un discours politique, et non d’une simple contribution juridique. En même temps, l’accusation avait préparé des piles de copies de cette intervention de Lewis, qui ont été distribuées aux médias et leur ont également été remises électroniquement pour qu’ils puissent les copier-coller. (...)
il est notable que je ne trouve nulle part dans les médias grand public la moindre mention de ce qui s’est passé. Ce que je peux voir partout, c’est que les grands médias rapportent, par le biais du copier-coller, la première partie de la déclaration de Lewis sur les raisons pour lesquelles la poursuite d’Assange ne constitue pas une menace pour la liberté de la presse ; mais personne ne semble avoir rapporté qu’il a totalement abandonné son propre argument cinq minutes plus tard. Les journalistes étaient-ils trop stupides pour comprendre les dialogues ? (...)
La réaction d’un groupe a été très intéressante. Les quatre avocats du gouvernement américain assis immédiatement derrière Lewis ont eu la bonté de paraître très mal à l’aise, car Lewis a déclaré sans ambages que tout journaliste et tout journal ou média de radiodiffusion publiant ou même possédant un secret gouvernemental commettait un délit grave. Toute leur stratégie avait consisté à faire semblant de ne pas dire cela.
Lewis est ensuite passé à la conclusion des arguments de l’accusation. Le tribunal n’avait aucune décision à prendre, a-t-il déclaré. Assange doit être extradé. L’infraction répond au critère de la double incrimination puisqu’il s’agit d’un délit à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni. La loi britannique sur l’extradition interdit expressément au tribunal de vérifier s’il existe des preuves à l’appui des accusations. S’il y avait eu, comme l’a fait valoir la défense, un abus de procédure, le tribunal doit quand même extrader et poursuivre l’abus de procédure comme une affaire distincte contre les auteurs de l’abus. (Cet argument est particulièrement sournois) car il n’est pas possible pour la Cour d’engager une action contre le gouvernement américain en raison de l’immunité souveraine, comme Lewis le sait bien. Enfin, Lewis a déclaré que la loi sur les Droits de l’Homme et la liberté d’expression n’était absolument pas pertinente dans les procédures d’extradition.
Edward Fitzgerald se lève alors pour faire la déclaration d’ouverture pour la défense. Il a commencé par déclarer que le motif de l’accusation était entièrement politique, et que les infractions politiques étaient spécifiquement exclues en vertu de l’article 4.1 du traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Il a souligné qu’au moment du procès de Chelsea Manning et de nouveau en 2013, l’administration Obama avait pris des décisions spécifiques de ne pas poursuivre Assange pour les fuites de Manning. Cette décision a été annulée par l’administration Trump pour des raisons entièrement politiques.
Concernant l’abus de procédure, Fitzgerald a fait référence aux preuves présentées devant les tribunaux pénaux espagnols selon lesquelles la CIA avait chargé une société de sécurité espagnole d’espionner Julian Assange à l’ambassade, et que cet espionnage comprenait spécifiquement la surveillance des réunions privilégiées d’Assange avec ses avocats pour discuter de son extradition. Pour l’État qui tente d’extrader pour espionner les consultations client-avocat de l’accusé, c’est en soi un motif de rejet de l’affaire. (Ce point est sans aucun doute vrai. Tout juge digne de ce nom rejetterait rapidement l’affaire pour espionnage scandaleux des avocats de la défense).
Fitzgerald a poursuivi en disant que la défense allait produire des preuves que la CIA non seulement espionnait Assange et ses avocats, mais envisageait activement de l’enlever ou de l’empoisonner, et que cela montrait qu’il n’y avait pas d’engagement en faveur d’un véritable État de droit dans cette affaire.
Fitzgerald a déclaré que la façon dont l’accusation a présenté l’affaire contenait une déformation délibérée des faits qui constituait également un abus de procédure. (...)
Encore une fois, pour autant que je sache, si les accusations américaines de préjudice aux informateurs sont largement diffusées, la réfutation totale de la défense sur les faits et l’affirmation selon laquelle la fabrication de faits équivaut à un abus de procédure ne sont pas du tout rapportées. Fitzgerald a enfin évoqué les conditions de détention aux États-Unis, l’impossibilité d’un procès équitable aux États-Unis et le fait que l’administration Trump a déclaré que les ressortissants étrangers ne bénéficieront pas des protections du premier amendement, comme autant de raisons pour lesquelles l’extradition doit être exclue. Vous pouvez lire toute la déclaration de la défense, mais à mon avis, le passage le plus fort portait sur les raisons pour lesquelles il est ici question d’une poursuite politique, et donc d’une impossibilité d’extradition.
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Rédacteur en chef de Wikileaks : « C’est honteux de devoir défendre le journalisme devant un tribunal » (...)
« Pourquoi ne discutons-nous pas du mal qui a été révélé par WikiLeaks en 2010 et 2011 ? » « Nous devrions parler de crimes de guerre et de meurtres de civils, et non d’espionnage contre les Etats-Unis dans cette cour », a déclaré le journaliste et rédacteur en chef de WikiLeaks Kristinn Hrafnsson, également présent pour cette audience à Londres. Il est « scandaleux » que Julian Assange soit jugé à Londres pour des « affirmations creuses des États-Unis » qui n’ont pas changé au cours des dix dernières années, a déclaré Kristinn Hrafnsson, promettant que la défense avait des arguments solides pour éviter l’extradition. (...)
Le rédacteur en chef de Wikileaks estime quant à lui que l’existence même du procès d’extradition est une honte : « C’est honteux que nous devions défendre le journalisme devant un tribunal de ce pays. » Julian Assange, silencieux et poing levé lors de son procès en extradition Quant au principal intéressé, Julian Assange est apparu devant la juge britannique Vanessa Baraitser vêtu d’un pull et d’une veste gris. Il a longuement étudié les documents remis par ses avocats pendant que l’accusation présentait les chefs d’accusation. Durant le débat qui s’est ensuivi, Julian Assange, visage impassible, a levé le poing à plusieurs reprises en direction de ses soutiens présents dans la salle d’audience. Dans sa première prise de parole lors de l’audience il a expliqué « avoir du mal à (se) concentrer (...) Ce bruit n’aide pas », tandis qu’à l’extérieur de la salle d’audience, plusieurs dizaines de manifestants massés aux grilles du tribunal étaient venus lui apporter un soutien bruyant. (...)
« J’apprécie beaucoup le soutien public (...) Je comprends que cette procédure doit les dégoûter », a-t-il poursuivi à voix basse, parlant à travers un trou du panneau de verre le séparant de la salle. (...)