La troisième semaine du procès en extradition vers les États-Unis de Julian Assange a donné lieu, à Londres, à des débats dominés par la santé mentale de l’accusé et marqués par le cynisme de l’avocat du gouvernement américain.
À Londres, dans le vénérable Old Bailey aux sièges d’un vert anglais insoutenable, en ce temple de la justice occidentale garant de l’État de droit, le capitalisme réel mène un procès digne du socialisme réel.
Le dissident Julian Assange est présumé coupable en raison de la divulgation de samizdats (WikiLeaks : la publication en 2010, donc, de documents secrets de l’armée américaine, de câbles diplomatiques et de documents sur les prisonniers de Guantánamo). Contrairement à ce qui se passait en URSS, il ne faut pas le déclarer fou pour l’enfermer : il doit être considéré comme suffisamment sain d’esprit en vue de son extradition vers les États-Unis d’Amérique. Et une fois de plus, il se trouve quelque psychiatre pour aller dans le sens de la force obscure du pouvoir.
Ce fut le cas, jeudi 24 septembre, avec la déposition du docteur Nigel Blackwood, appelé à la barre par l’accusation, c’est-à-dire les avocats de Washington. M. Blackwood, avec une suffisance placide, affirma que Julian Assange souffrait certes d’une forme de dépression, mais assez légère, si bien qu’il n’y a guère lieu de craindre un suicide en cas d’extradition outre-Atlantique – où il risque jusqu’à 175 ans de prison –, à condition de recevoir des traitements appropriés : « M. Assange est très résilient et très résolu. » (...)
Il a été longuement question de « l’autisme » de Julian Assange, ou plus précisément de son autisme dit de haut niveau, sans déficit intellectuel – bien au contraire : le syndrome d’Asperger.
Et c’est là que James Lewis, l’avocat de l’accusation défendant donc les intérêts de Washington, montra ce que son cabinet présente comme du talent indéniable, mais qui apparut, tout au long de cette troisième semaine d’audience, tel de l’acharnement sans foi ni loi mené avec une cruauté d’hyène altérée de sang.
Prétendant incarner un bon sens de fer, Me Lewis n’a cessé de se référer à l’ICD (International Classification of Diseases : CIM en français, pour Classification internationale des maladies), fort peu prisée par le professeur Kopelman – comme par l’ensemble du monde psychiatrique, puisqu’il s’agit avant tout d’une taxinomie pilotée par les laboratoires afin d’écouler leurs médicaments parmi des populations forcément affolées face à un tel tableau clinique… (...)
le sentiment domine, depuis le début du procès, que les jeux sont faits. Certes, il y a aura toujours la possibilité d’interjeter appel. Mais toute cette troisième semaine aura donné l’impression que la juge Vanessa Baraitser, garante de la durée des débats au point de sembler avoir avalé une pendule, confortait sur ce point l’accusation au mépris de la défense. James Lewis est allé jusqu’à lancer que tous ces témoignages en faveur d’Assange – ou plutôt s’inquiétant de sa possible extradition – étaient « répétitifs » et qu’une déposition écrite suffirait largement. La juge n’était pas loin de sembler camper sur la même longueur d’ondes. (...)
Dans ce procès injuste où Julian Assange, qui fit un travail journalistique d’intérêt général et même planétaire, est ravalé au rang de mouchard agent de l’ennemi – sur les 175 ans de prison qu’il risque outre-Atlantique, 170 le sont au titre de la loi américaine sur l’espionnage –, dans ce procès verrouillé où Amnesty International et tant d’autres se virent arbitrairement refuser l’accès (seul, ou quasiment, fut accrédité Reporters sans frontières), dans ce procès féroce digne du théâtre de Grand-Guignol, Edward Fitzgerald revendiqua une dose d’humanité, de compassion, de justice. De vérité. (...)
Vendetta trumpienne
Il faudrait des heures pour raconter par le menu la technique propre à l’extrême droite yankee hostile à la science, déployée par James Lewis pour démontrer, coûte que coûte, que l’accusé se porte comme un charme et doit être extradé tel un colis suspect, encombrant, mais pas fragile pour un sou. (...)
Tout est fait, dans le temple de l’Old Bailey, pour oublier un point crucial : le procès, en sus de broyer Julian Assange au nom de la vengeance d’État, doit intimider à l’avenir ceux qui oseraient mettre le nez dans les affaires importantes des grands de ce monde. Le journalisme, libre, indépendant, donc fureteur, est visé. Les enquêteurs auront désormais affaire au Grand Inquisiteur.
Par corporatisme, lâcheté – parce qu’ils sont aussi victimes de la propagande ayant souillé Assange comme elle souillait jadis les dissidents soviétiques –, les journalistes dans leur grande majorité n’ont pas pris la mesure du procès Assange, qui passe relativement inaperçu. Les citoyens ne réagissent pas, laissant les activistes s’insurger face à ce spectacle indigne, qui se tient dans une sorte de huis clos inavoué en raison de la situation sanitaire.
La France, « pays des droits de l’homme », s’avère à la traîne. Au début de cette troisième semaine de reprise du procès Assange, lundi 21 septembre, une pétition mondiale, signée par 161 chefs d’État, anciens chefs d’État et un grand nombre de ministres, parlementaires et diplomates, demandait « instamment au gouvernement britannique de mettre fin à la procédure d’extradition de Julian Assange et d’accorder sa libération immédiate de la prison de Belmarsh à Londres, où il est détenu à l’isolement par les autorités britanniques sans motif légal depuis avril 2019 ».
On y trouve l’ancien président Lula du Brésil, l’actuel président argentin Fernández, l’Espagnol Zapatero, le Britannique Corbyn, une foultitude d’Allemands, de Suisses et fort peu de Français. À part Jean-Luc Mélenchon, ne figurent que des troisièmes couteaux qui se comptent sur les doigts d’une main (...)
Dressons-nous contre le dressage d’Assange ! Le journaliste de Mediapart, qui suit le procès devant son écran, a au moins la possibilité de n’avoir pas à se mettre debout, comme dans la salle de l’Old Bailey, à l’arrivée de la juge. Ne pas se lever pour, mais s’élever contre un tel procès, en retrouvant le jeu de mots qu’induit la langue anglaise : « We won’t stand for such a show » (nous ne tolèrerons pas – nous ne nous lèverons pas pour – un spectacle pareil) !