
Nous, scientifiques, enseignants, citoyens et parents d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, souhaitons attirer l’attention de nos concitoyens sur un problème qui semble inconcevable en France, trois ans après le succès de l’accord de Paris sur le climat obtenu lors de la COP21.
Les nouveaux programmes du lycée pour les cinq prochaines années ne laissent pas assez de place pour la transmission des bases scientifiques essentielles à la compréhension des problèmes majeurs que sont le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité, leurs causes, et les solutions permettant d’agir pour les enrayer.
Nos lycéens incarnent pourtant la « génération anthropocène », la première à avoir grandi à une époque où les connaissances scientifiques permettent d’affirmer que les activités humaines déterminent et affectent désormais sensiblement les grands équilibres de notre planète. Il serait désastreux de ne pas leur donner les clés pour appréhender l’évolution du climat et la biodiversité.
L’alerte que nous lançons est d’autant plus urgente que ces programmes doivent être approuvés mardi 18 décembre par le Conseil supérieur des programmes du ministère de l’éducation nationale.
A ce stade, la place accordée à l’enseignement sur le changement climatique apparaît dérisoire : à peu près rien avant la terminale pour les enseignements du tronc commun au lycée ! Seuls une petite fraction d’élèves choisissant l’enseignement de spécialité « sciences de la vie et de la terre » (SVT) en terminale auraient, peut-être, droit à une formation plus complète et consistante sur ces enjeux majeurs.
Les nouveaux programmes sont articulés autour de grands enjeux contemporains, mais le changement climatique n’y est quasiment pas présent : seul le bilan d’énergie de la terre est abordé en seconde, de façon théorique et comme on aurait pu le faire dans les années 1970, sans véritable discussion sur l’origine des rejets de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement dramatique de notre planète par le biais de l’augmentation de l’effet de serre.
Le programme scientifique insiste sur la manière dont la science se construit et progresse, ce qui est bienvenu pour construire une culture générale à la démarche scientifique, mais pratiquement aucune place n’est accordée aux sciences récentes, celles qui ont émergé au cours des quarante dernières années, et notamment aux sciences du climat modernes.
Le temps consacré à l’enseignement en relation avec les deux enjeux vitaux à l’échelle planétaire, l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique, apparaît ainsi très insuffisant, au collège comme au lycée.
De façon plus générale, mais tout aussi préoccupante, l’enseignement en lien avec le développement durable apparaît en recul par rapport aux précédents programmes, alors que l’intégration des dimensions sociales, économiques et environnementales s’affirme comme un enjeu central pour les citoyens, les entreprises et les collectivités, à l’ère de la transition écologique et solidaire.
Il y a aujourd’hui urgence à mettre réellement en œuvre les principes du Code de l’Education, censés contribuer à « une culture commune » et relever « d’une éthique de responsabilité par rapport à chaque élève comme par rapport à la collectivité aussi bien qu’à l’humanité et à l’environnement ».
Le mouvement récent des gilets jaunes montre l’urgence à intégrer la dimension sociale dans la conduite de transitions équitables et justes, et il est important de donner des clés aux jeunes générations pour comprendre les multiples intersections entre pauvreté, inégalités, risques climatiques, et effondrement de la biodiversité.
Confirmer ces orientations des nouveaux programmes du lycée serait de la part du gouvernement une erreur lourde de conséquences pour notre société.
Il n’est sans doute pas besoin d’expliquer trop longuement pourquoi il est crucial que tous les lycéens, futurs étudiants, citoyens, et consommateurs, puissent acquérir ces connaissances fondamentales.
Cela semble d’autant plus crucial à l’heure des « fake news » et autres théories du complot, y compris sur le changement climatique, et au regard de l’omniprésence des réseaux sociaux, notamment dans la vie de nos jeunes.
L’un des objectifs mis en avant dans le préambule du programme de seconde est de faire de contribuer à faire des élèves des « personnes lucides ». Comment cela pourrait-il advenir si on ne leur fournit pas dès leur jeunesse, alors que leur vision du monde se construit, l’accès aux connaissances scientifiques les plus récentes ? S’ils ne disposent pas des moyens pour comprendre ce qui façonne les grandes trajectoires d’évolution à l’échelle planétaire, et mesurer l’urgence à agir ?
Nous ne doutons pas de l’intérêt de la jeunesse pour la protection du climat et de la biodiversité. En témoignent notamment l’écho rencontré en France par le Manifeste étudiant pour un réveil écologique, et bien sûr l’attention internationale qu’a su éveiller la jeune Suédoise Greta Thunberg, en annonçant qu’elle se mettait en « grève de l’école » pour protester contre l’inaction des gouvernements face au changement climatique, et en appelant les enfants du monde entier à faire de même un jour par semaine.
Au regard de l’importance vitale du sujet, nous appelons le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer à s’en saisir de toute urgence, en coopération avec le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, et à s’assurer que les nouveaux programmes de lycée accordent aux méthodes et connaissances scientifiques les plus récentes sur le climat et la biodiversité toute la place qu’ils méritent à l’ère de l’anthropocène.
Nous attendons du ministre de l’éducation qu’il prenne très rapidement position sur le sujet, et sommes prêts à le rencontrer, auquel cas nous rendrons bien sûr compte à nos concitoyens, que nous appelons à soutenir cet appel. (...)