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Au G7, je témoignerai de ce qu’il y a de plus dangereux au monde : être une fille
Dominique Sigaud Grand reporter, écrivain, essayiste, autrice du livre "La malédiction d’être fille"
Article mis en ligne le 25 août 2019

Nous ignorons à peu près tous que des dizaines de milliers de mères dans le monde, confrontées au grand dénuement, tuent leurs filles à la naissance de leurs propres mains, sous la pression de leur familles et de leurs communautés. Que des millions de filles se voient couper de force le clitoris. Que sinon elles ne seraient pas des filles acceptables. Que c’est un récit qui leur est fait de ce qu’est une fille.

Nous ignorons que des Américaines de 12 ans sont tenues d’épouser leur violeur pour sauver “l’honneur” (de qui ? Que signifie honneur ?) de leur famille.

Nous ignorons que dans certains Etats de l’Union elles sont désormais tenues de partager l’autorité parentale avec leur violeur. Que c’est un récit qui leur est fait, de la bienséance à laquelle elles doivent se tenir.

Nous ignorons tous que les meurtres dits “d’honneur” ne cessent d’augmenter. Une fille tuée à coups de tête contre le mur par son père parce qu’elle a parlé à un camarade de classe. Une autre brûlée vive parce qu’elle a changé de robe. Des insignifiances censées sauver un “honneur”. (...)

La violence faite aux filles dans le monde est un invariant de l’histoire humaine, une donnée universelle. Elle est comme la trace la plus sombre, impensée, non travaillée, non répertoriée, non évaluée, d’une mise à l’écart et d’une cruauté à l’encontre des plus vulnérables d’entre nous. “Quelle est la chose la plus dangereuse au monde ?” demande l’ONG Care International en 2018. ”Être une fille.” (...)

Pourquoi considère-t-on encore, en quelque sorte que, concernant les filles, que c’est aux familles de gérer le problème ? On les tue comme des bébés chats. On accepte que les familles cousent leur vagin et les marient à 9 ans. En quelque sorte, elles ne sont pas soumises à nos lois ; 90% des viols échappent à la justice, statistique quasi mondiale, quand les filles elles mêmes n’en deviennent pas les responsables désignées. Si on t’a touchée, c’est que tu l’as cherché : inversion des responsabilités, typique d’un système pervers de déni. (...)

Maintenant il nous revient de regarder ça. Ce sacrifice exigé. Le mesurer concrètement. Nommer crûment les faits, les actes, les pratiques.

J’ai écrit “La malédiction d’être fille” parce que j’ai découvert ces violences, parce que leur violence m’a stupéfaite, parce que mon ignorance à ce sujet m’a stupéfaite, alors même que j’avais travaillé des années sur des terrains les pratiquant outrageusement. Il m’a fallu attendre de voir ce qu’elles étaient en France, en Europe, dans le monde occidental, pour comprendre le sens universel de leur ampleur. (...)

Le désir des filles est de ne pas être incestées, ni violées, mariées à 12 ans, mutilées, vendues ni prostituées. Chaque fille même la plus pauvre a droit à son récit d’elle-même. (...)

Les filles dotées de leurs propres désirs, élaborant leur propre récit, peuvent devenir des forces de changement importantes, essentielles ; désormais les grandes ONG s’appuient sur elles comme leviers de transformation, sur leur énergie, leur remarquable sens du commun, de la solution commune. Leur ardent désir de vivre. Une fille qu’on ne mutile pas, qu’on ne marie pas à 10 ans, qu’on ne viole pas, qu’on n’exclue pas du monde, qui ne se sent pas menacée, développe naturellement résilience et combativité, créativité, inventivité. (...)

L’autre proposition, que je présenterai lors de mon intervention dans le cadre du G7, est d’organiser partout où c’est possible dans le monde, des Marches de Filles le 11 octobre 2020. Que les filles ensemble soient là, marchant. Leur corps, leur visage, leur voix. Vivantes. Visibles. Dehors. Avançant ensemble. Que nous apprenions à les voir comme elles sont, parmi nous. Occupant librement l’espace commun.