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Mediapart
Au Haut-Karabakh, les identitaires français jouent à la guerre des civilisations
Article mis en ligne le 24 janvier 2021

Des groupes identitaires français profitent du conflit au Haut-Karabakh pour se fédérer sous une identité religieuse. Leur engagement affiché en faveur de l’Arménie consiste surtout à mettre en scène un affrontement entre l’islam et la chrétienté, quitte à faire le jeu d’Erdogan.

Les armes se sont tues, mais l’extrême droite française continue à faire du bruit. Dès la reprise du conflit opposant l’Arménie à l’Azerbaïdjan pour le contrôle de la république autoproclamée du Haut-Karabakh, le 27 septembre dernier, plusieurs groupes identitaires français se sont emparés de la situation du Caucase pour appeler à la défense de l’Arménie en tant que « premier royaume chrétien du monde », transformant un conflit territorial post-soviétique en affrontement millénaire entre l’islam et la chrétienté.

Ce qui se passe là-bas ne serait qu’un avant-goût de ce qui nous attend ici. Dans ce récit, le président turc Recep Tayyip Erdogan, soutien militaire de l’Azerbaïdjan, joue le rôle de l’ennemi existentiel d’une Europe judéo-chrétienne menacée par le « grand remplacement » et l’expansionnisme islamiste.

Comme l’avait révélé Libération, le chef du groupuscule violent des Zouaves Paris (lire notre enquête), Marc de Cacqueray-Valmenier, avait lui-même annoncé son départ pour le front fin octobre en diffusant une photo de lui, fusil d’assaut à la main et vêtu d’un treillis bardé d’un drapeau arménien et d’une Totenkopf, symbole des unités SS. Selon Le Point, l’Azerbaïdjan a officiellement saisi le Parquet national antiterroriste en France, estimant qu’une vingtaine de Français, dont plusieurs militants d’extrême droite, auraient pris part aux affrontements. Mais pour les Zouaves, « le futur de notre continent et de notre civilisation est en jeu au Haut-Karabakh ». (...)

Cette lecture huntingtonienne du conflit traverse désormais l’ensemble du spectre des différentes tendances de l’extrême droite française, jusqu’aux élus. Le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier, qui s’est rendu sur place du 25 au 27 octobre pour rencontrer les autorités locales, a certes voyagé sans kalachnikov mais ne raconte pas autre chose que les Zouaves : « Le combat de l’Arménie aujourd’hui peut devenir celui de la France et de l’Europe demain. »

L’identité chrétienne comme nouveau mythe fédérateur (...)

Les occasions de combattre s’étant effondrées avec l’accord de cessez-le-feu sous parrainage russe du 10 novembre, il reste à l’extrême droite la communication sous couvert d’action humanitaire. (...)

Comme le rappelle l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite, l’engagement de ce genre de groupes dans des conflits lointains n’est pas nouveau. Mais le choix d’un rassemblement sous la bannière de l’identité chrétienne n’a pas toujours été évident. « Tout remonte à la guerre du Kosovo, explique-t-il à Mediapart. À ce moment-là, les Serbes retournent les accusations qui sont faites à leur encontre en alertant sur la création d’une république islamique en plein cœur de l’Europe qui représenterait la vraie menace fasciste. »

Propagandes en miroirs

L’extrême droite se replie alors sur son propre référentiel religieux. « C’est à ce moment qu’elle comprend que le marteau de Thor est un mythe bien moins mobilisateur que celui de Jésus. Il est d’ailleurs plus question ici d’identité que de foi. Ce récit de guerre des civilisations va prendre de l’ampleur notamment après le 11 septembre 2001, et en France surtout après les attentats de 2015, analyse l’historien. On est en plein dans le récit du “Defend Europe” de Génération Identitaire. »

L’un des porte-parole de Génération Identitaire (GI), Jérémie Piano, avait justement annoncé mi-décembre à son entourage qu’il partait rejoindre SOS Chrétiens d’Orient en Arménie. Une arrivée officialisée à demi-mot dans un tweet de l’association, le 20 décembre, le nouveau volontaire étant simplement présenté comme un certain « Jérémie » donnant des cours de français. C’est pourtant bien lui que l’on retrouvera vêtu d’une doudoune bleue dans les Pyrénées avec GI un mois plus tard.

« En mettant l’accent sur un conflit entre l’islam et la chrétienté, la logique de ces groupes identitaires renvoie finalement à celle d’Erdogan qui veut de son côté se poser en protecteur des musulmans, remarque Étienne Peyrat. Cela lui permet d’alimenter sa propre machine de propagande. » Car la posture martiale d’Erdogan doit en fait beaucoup à des logiques politiciennes propres à la Turquie, ainsi qu’à son alliance avec l’extrême droite nationaliste turque, qui pousse justement à cet expansionnisme militaire mâtiné d’identitarisme religieux (...)

« Il y a bien une forme de montée des extrêmes qui s’opère à travers un tel conflit, renchérit Étienne Peyrat. C’est pourtant une erreur de l’interpréter comme un affrontement viscéral et ancestral entre l’islam et la chrétienté. Beaucoup d’acteurs, de chaque côté, y compris en Arménie, ont en réalité tout simplement un intérêt politique à ce que ces interprétations soient diffusées. »

Le mythe a pourtant percé au-delà de l’extrême droite classique. En présentant son film Arménie, un choc des civilisations en décembre, le polémiste Michel Onfray a été jusqu’à faire le parallèle entre la situation en Arménie et la décapitation de Samuel Paty en France.

En octobre, c’était Emmanuel Macron qui reprenait un argument des identitaires en accusant Erdogan d’avoir déployé dans le Caucase des « combattants syriens de groupes djihadistes ». Des mercenaires qui n’ont en fait rien de djihadistes, et qui les ont même parfois affrontés. Mais les nuances n’ont plus leur place dans une marche du monde dessinée en noir et blanc.