
En pleine mobilisation contre la loi Travail, les employeurs de salariés low-cost tenaient salon à Paris. Tandis que McDonald’s, Carrefour, Sodexo, Monoprix et consorts se pliaient en quatre pour ferrer du chômeur, un coach en « management motivationnel » exhortait les futures recrues à se prendre pour Usain Bolt.
Monde du travail, monde de tarés.
C’est une foire de maquignons comme il s’en tient par centaines, mais avec un petit truc en plus qui intrigue : SoJob, le « salon social du recrutement privé ». « Social », la précision a son importance. Depuis le temps que cet adjectif se retourne comme une chaussette pour rhabiller sémantiquement les panards de l’employeur (social, le plan qui te jette à la rue ; social, le dialogue en vertu duquel on ampute tes droits, etc.), il était logique qu’il serve aussi de garniture aux emplois socialement les plus dégradés. SoJob, nous avertit la brochure, « est né d’une nécessité sociale : favoriser la rencontre entre vous, qui exercez ou qui souhaitez exercer dans le privé, et de grandes entreprises à fort potentiel de recrutement venant de secteurs diversifiés : hôtellerie, restauration, artisanat alimentaire, grande distribution, coiffure, esthétique, services à la personne ». Bref, la confrérie des secteurs « sous tension », pourvoyeuse de tâches épanouissantes et de plans de carrière sensationnels, dont la presse déplore régulièrement qu’elle « peine à recruter », s’est donné rendez-vous le 8 mars à l’espace Champerret, à Paris.
« C’est normal que tu complètes par des précaires »
Le timing était bien choisi. SoJob avait lieu la veille de la première journée de mobilisation contre le projet de démembrement du Code du travail, un texte conçu pour délivrer les employeurs de leur « peur d’embaucher [1] » par la gratification de libertés nouvelles pour flexibiliser, précariser, licencier. Un précieux coup de pouce à l’extension des boulots de merde, ceux-là mêmes qui font le miel de SoJob. (...)
« On espère tous pour nos enfants qu’ils trouveront mieux dans leur vie qu’un job chez McDo, concède notre syndicaliste de choc, mais il faut aussi se mettre à la place de l’employeur. À certains moments, t’as besoin de vingt salariés, à d’autres seulement de cinq, donc c’est normal que tu complètes par des précaires. »
Avec un petit cochon-tirelire rose siglé FO à la main, cadeau de la maison, on entame le tour des popotes. Justement, voici McDonald’s. Le « premier recruteur privé de France » – (...)
où l’on t’explique que façonner des Big Mac en CDD à deux-cinquièmes de temps, c’est « un poste idéal pour les jeunes à la recherche d’une première expérience professionnelle » – quand t’es jeune, t’es trop content de gagner des clopinettes – et « pour les personnes cherchant à concilier vie privée et vie professionnelle via un emploi du temps modulable » – je nage dans le graillon aux heures de rush, mais, le reste du temps, je m’éclate dans ma vie privée.
Plus loin, après le stand « Hôtellerie et restauration, cap sur la réussite ! », on tombe sur Sodexo, le mastodonte de la bouffe collective (...)
séance de coaching « Comment bien préparer un entretien d’embauche ». Des chaises pliantes ont été disposées à l’attention du public à côté du stand de Speed Jobbing, censé abriter des rencontres coups de foudre entre recruteurs et candidats. (...)
« Ne pas se préparer à son entretien, c’est manquer de respect à l’employeur. Comment s’y préparer ? En vous initiant aux valeurs de l’entreprise qui accepte de vous recevoir ! La tenue doit être adaptée, il y a des postes qui ne justifient pas de porter le costume et la cravate. Il faut être dans le ton du métier, le ton qui va bien ! Vos gestes doivent être en accord avec ce que vous dites. Faites des essais devant la glace, regardez-vous faire ! Il faut avoir le sourire. Ça se travaille, un sourire ! » On songe au commandement inscrit sur les murs des écoles de travailleuses domestiques aux Philippines : « L’attitude conditionne votre succès [2]. » (...)
S’ensuit une longue variation sur l’un des thèmes les plus éprouvés de la lobotomie managériale : l’allégorie sportive. « Dans un match de boxe, lorsque les deux boxeurs montent sur le ring, il y a un face-à-face, regard contre regard. Celui qui va gagner le combat, c’est celui qui gagne le combat du regard et qui dit : moi, je suis plus fort que toi. Il s’agit de regarder en face son recruteur. Allez-y, affrontez-le, souriez-lui, regardez-le. Moi, j’ai pas envie d’avoir quelqu’un de passif devant moi. Je suis en train de vous proposer le plus beau métier du monde, alors allez-y ! » Sourires incrédules dans l’assistance. « Le plus beau métier du monde », l’expression ici ferait paraître mesurés les gros titres du Rodong Sinmun, l’organe officiel du Parti communiste nord-coréen. (...)
Affida dit cumuler « trois handicaps » : « Je suis arabe, je suis une meuf et j’ai une histoire familiale compliquée. Donc c’est trois fois plus dur. » Dotée, comme elle dit, d’un mental de « killeuse », elle vient de claquer la porte de son taf au Crédit Agricole : « Vu qu’ils sont bardés de juristes, ils connaissent bien les filons pour faire bosser les gens dans la précarité. Moi, ils me renouvelaient mon CDD constamment. Le délai de carence, qui est normalement de six mois entre deux CDD, là-bas, il était de trois semaines. Ils changent le nom du poste et l’adresse de l’agence et, hop, vous repartez avec un énième CDD. J’ai claqué ma dém’ et je suis arrivée à Paris il y a un mois et demi, je vis en coloc’ avec plein de gens déprimés, mais je garde la confiance – il faut ! »