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Le Monde Diplomatique
Au Sinaï, une « sale guerre » qui ne dit pas son nom
De l’Egypte à l’Irak, le chaos s’installe là où les Etats se retirent
Article mis en ligne le 22 février 2015
dernière modification le 18 février 2015

Selon le rapport que vient de publier Human Rights Watch, au moins huit cents partisans des Frères musulmans ont été tués le 14 août 2013 au Caire après la destitution du président Mohamed Morsi, soit « l’un des plus importants massacres de manifestants de l’histoire récente ». Dans le Sinaï, la population paie le prix de la guerre que se livrent les milices djihadistes et l’armée égyptienne.

Il avait 31 ans. Mohammed Youssef Tabl a été abattu par un soldat égyptien aux portes de la ville de Cheikh Zouayyid, à trente kilomètres à l’est d’Al-Arich, au Sinaï. Membre d’une mission officielle, il était connu, et sa mort n’est pas passée inaperçue. La sympathie et la solidarité ont aidé sa famille et ses amis à contenir leur colère. Des milliers de victimes anonymes n’ont pas eu cette chance. Tabl évoluait dans le milieu urbain et éduqué d’Al-Arich, alors que la population de cette zone frontalière avec Israël est essentiellement bédouine, marginalisée, stigmatisée. Victime de la politique de la terre brûlée qui y est menée, elle n’a pris les armes que contrainte et forcée. (...)

Les exactions des officiers et des soldats de l’armée régulière à l’encontre de la population civile bénéficient désormais d’une totale impunité. Au Sinaï, tout est permis, y compris la destruction de maisons sans autorisation des tribunaux, l’incendie des cabanes qui abritent les plus pauvres et notamment les personnes âgées, l’arrachage des oliveraies, les tirs contre des maisons particulières, le meurtre de femmes et d’enfants, l’arrestation au hasard de centaines de suspects, la fermeture de dizaines d’échoppes et de magasins, les déplacements forcés et les disparitions organisées et, bien entendu, le harcèlement des journalistes et des chercheurs — dont l’auteur de ces lignes (...)

Durant ces longs mois, l’armée égyptienne est parvenue à imposer un black-out sur tout ce qui se passait dans le nord du Sinaï. Les journalistes et les militants de la région ont été harcelés, arrêtés et torturés, ou alors pourchassés et obligés de se cacher, tandis que leurs confrères étrangers, menacés, ont finalement été expulsés. Chaque jour, les réseaux de communication subissent des coupures, et le couvre-feu débute une heure avant le coucher du soleil. Pourtant, toutes ces mesures, y compris la punition collective et arbitraire des populations, n’ont pas empêché ABM de tirer encore des roquettes sur Israël au cours de la guerre à Gaza, en juillet-août 2014. Il les a lancées depuis cette même zone où un drone israélien avait tué quatre djihadistes l’année dernière.

Lorsque l’armée égyptienne est parvenue à empêcher un second tir, le 13 juillet 2014, ABM a surenchéri en ciblant un campement militaire à l’est d’Al-Arich. L’un des deux projectiles a touché sa cible, mais l’autre est tombé sur des habitations proches, tuant sept civils, dont une fillette de 10 ans, et en blessant neuf autres.

Aujourd’hui, ABM s’est détourné d’Al-Qaida pour s’allier à l’Etat islamique (EI). Et la politique féroce menée par les autorités égyptiennes et israéliennes a suscité une nouvelle génération de combattants, plus motivée par la soif de vengeance que par des convictions idéologiques.